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Critique de Kirzy


Kirzy
10 novembre 2019
Que j'aime lorsque la littérature revêt les atours de légende médiévale !
Surtout lorsque le talent de l'auteur en convoque tous les codes et figures attendus dans une partition moderne et personnelle. Nadine Ribault s'est inspirée d'une légende belge catholique du XIème siècle née d'un drame païen.

Et il est bien là, ce Moyen-Âge , sous toutes ses facettes, tour à tour poétique, grotesque, sanguinaire, empreint de magie et merveilleux, empli de sorcellerie et superstitions, peuplé de personnages extraordinaires haut en couleurs : Isentraud, la cruelle châtelaine qui fait régner la terreur sur sa seigneurie de Gisphild en Flandres maritimes ; Arbogast, son fils, veule et violent, sous la coupe de sa terrible mère qui le pousse à répudier et reclure sa toute jeune épouse ; Goda, l'épouse pure rejetée, dont le martyre confine à la sainteté ; le chevalier Bruny, loyal et fidèle à son maitre et ami Arbogast, mais bousculée dans ses certitudes par une passion qui décille ses yeux ; Abrielle, l'amoureuse de Bruny, femme libre et puissante, magicienne, sorcière, fée des bois, on ne sait plus mais elle éclaire tout le récit et on sent très vite que c'est elle qui accélérera les événements à venir ; son mentor, Baudime, l'ermite malade qui fait office de sage.

Comme une malédiction, le mal des Ardents s'abat sur Gisphild, suivi d'un autre fléau, la guerre. le mal des Ardents ou ergotisme, appelé aussi feu de saint Antoine, se développe : la gangrène des extrémités démembre les malades qui sont dévorés de la sensation d'intenses brûlures. Cela donne lieu à des descriptions tout à fait saisissantes, comme lors de ce charivari au cours duquel les Ardents sont comme pris de folie, de frénésie, crient, s'accouplent comme ils peuvent avec leur infirmité, souffrent et meurent.

L'énorme point fort de ce roman, au-delà de tout cet imaginaire médiéval convoqué, c'est la langue, absolument magnifique, qui interpelle dès les premières lignes et demande un effort pour s'adapter à son phrasé et son rythme, avec au bout un bonheur de lecteur intense : une prose très travaillée, aux phrases amples, longues, mélodieuses, utilisant un vocabulaire soutenu, souvent très lyrique, souvent éminemment poétiques. Chaque ligne éveille la sensorialité du lecteur et l'immerge puissamment, laissant à voir, sentir, entendre, goûter, toucher ce récit incarné par des personnages tous forts et une nature magnifiée, métaphore des tourments et vices humains :

« Un vent lugubre hurlait et de longues cordelles de brouillard couchaient, nuit et jour, dans les fossés, au pied du château. Cet hiver prenait les allures d'une fin et transperçait les êtres de sa violence tandis que la mer, à ce point grondante, luttant du pied de ses vagues contre le gel qui la voulait prendre, donnait l'impression que, sous peu, elle bondirait par-dessus les dunes et viendrait se blottir dans la lande, croyant ainsi échapper au froid. »

La réflexion est également stimulée, notamment par la police d'écriture qui met en lumière certains mots en les mettant en italiques, attirant ainsi l'attention sur ce qu'il représente : dérives du pouvoir, résistance, passage à l'acte quasi révolutionnaire, peur de l'autre, Amour avec une majuscule, autant de thèmes forts qui surgissent derrière le tableau médiéval.

La construction avance par tableaux, un peu comme dans Gaspard de la Nuit de Aloysius Bertrand, des ellipses, des parenthèses et puis le retour aux événements, jusqu'à un dénouement très beau qui laisse une nouvelle fois l'imagination s'envoler.

Un très beau texte, porté par une prose incandescente.

PS : très belle couverture, un photomontage réalisé l'auteure, avec le château "cathare" de Peyrepertuse, de mon Aude natale !
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