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Critique de berni_29


Pater-noster : nom commun invariable. (latin pater noster, notre père)
Sorte d'ascenseur continu, formé de cabines ou de cages reliées entre elles par des chaînes, comme les grains d'un chapelet, afin d'assurer un transport régulier à la verticale de marchandises, de dossiers ou de personnes.

C'est tout d'abord la couverture magnifique et énigmatique qui a happé mon regard sur l'étalage central de ma librairie préférée. Cette couverture porte à elle seule le visage du texte, un visage incrusté dans un autre visage, le même visage d'une femme qui s'en détache comme un pas de côté, entre les deux visages je percevais à peine une différence, peut-être seulement dans les yeux...
Un visage enfermé dans un autre visage, comme une sorte de réclusion consentie, tout est peut-être déjà dit sur cette couverture.
Paternoster, c'est aussi le nom d'une famille bourgeoise très bien sous tous rapports.
Tout commence par la rencontre d'un soir entre deux âmes esseulées. Dana, jeune femme d'origine kabyle issue d'un milieu modeste vient de faire la connaissance de Basil Paternoster. Ils passent la nuit ensemble, - une folle nuit d'amour dans les vapeurs d'alcool. Chacun sort fragilisé d'une histoire amoureuse et douloureuse toute récente encore.
Au lendemain matin, il semblerait que Dana voit déjà en Basil le compagnon idéal : il est un séduisant avocat, éloquent et, - paraît-il, de bonne famille.
Entre octobre et juillet se scelle leur idylle.
Ce roman de Julia Richard, jeune autrice que je découvre ici, commence comme un conte de fée, la suite est d'un tout autre genre.
Comme souvent, le rite de passage est la rencontre, pour ne pas dire la confrontation avec les beaux-parents. Je vous rassure, souvent cela passe très bien. Ici c'est plus nuancé, le jeune couple est invité à séjourner dans une vaste propriété de campagne du sud de la France, lors d'un été caniculaire. Ici la rencontre s'enclenche mal dès le départ.
Une tension naît à cet endroit dès le début de l'histoire, infime, subtile, sourde, une sorte d'hostilité de la belle-famille à l'égard de Dana, qui devient vite réciproque. Même le chat de la propriété s'en mêle, c'est dire...
Nous allons passer le reste de l'été en leur compagnie...
Le malaise grandit à chaque page et nous dérange. Nous happe aussi dans la nasse de l'écrivaine.
Julia Richards met ici en scène une famille qui incarne une France profondément traditionnelle et très patriarcale. Peu à peu la différence, le racisme et le mépris de classe entrent dans les pages, parfois de manière insidieuse, plus tard de manière flagrante, mais toujours révoltante.
Et c'est furieusement addictif.
Il faut sans doute reconnaître ici la qualité indéniable du ressort narratif d'une construction implacable, mais aussi celle de l'écriture, faisant de ce récit une véritable réussite sous l'angle romanesque. La plume de Julia Richards relève d'un exercice de virtuosité que je salue.
Glaçant, obsédant, ce livre se situe à la lisière de plusieurs genres sans jamais en franchir radicalement les frontières, le thriller psychologique, le conte fantastique, le récit horrifique, mais en définitive il se lit comme une claque dans la figure.
Tout au long du récit, nous oscillons entre plusieurs mondes.
Tiens ! Et si ce n'était rien d'autre qu'une fable politique et sociale, après tout...
Je me suis demandé si nos regards de lecteurs pouvaient être les mêmes, posés sur les pages de ce livre, celui de l'homme que je suis, celui des femmes que vous êtes, et parmi celles-ci il y a sans doute de multiples histoires de vies, de parcours, peut-être autant de points de vue sur le sujet, donc de multiples regards aussi...
Pour le reste, selon le chemin qui sera pris, puisque différents chemins de lecture sont proposés, certains y verront un magnifique plaidoyer féministe, une allégorie criante dans le parcours d'une femme qui assume sa différence dès le début du roman, puis qui...
Il est possible en effet de lire ici une vision terrible et percutante des sacrifices que font les femmes pour obéir aux normes de réussite sociale dans une société impitoyable faite par les hommes et pour les hommes.
D'autres y verront un simple thriller psychologique ou peut-être quelque chose de bien moindre, une chronique estivale en famille, tiens, pourquoi pas ?
La fin du roman est déroutante et peut se lire là aussi de plusieurs manières.
Si vous prenez le chemin de l'allégorie, vous échapperez à l'impression que le propos est manichéen. Paternoster est ce roman qui parle de l'emprise d'une société construite par les hommes et pour les hommes, avec certes la complicité de femmes, mais ont-elles le choix puisque tel est le processus construit et perpétré depuis plusieurs générations ?
Dana appartiendrait-elle à la catégorie de celles qui se taisent, sourient quand elles n'ont aucune raison de sourire, celles qui apprennent à faire semblant... ?
En creux, ce roman s'adresse aussi aux hommes. Je l'ai reçu comme cela. L'autrice a fait de ce récit une intention sociétale claire dont les itinéraires peuvent dérouter, peuvent se perdre dans les méandres de l'histoire. La postface du livre signée de l'autrice assume un acte furieusement féministe dans son propos, justifiant la genèse de son roman, le sens qu'elle a voulu y mettre, proposant de renverser l'ordre des choses, faire entendre une autre voix face aux forces dominatrices.
Alors, si c'est le cas, en tant qu'homme lecteur, j'ai pris à mon tour une sérieuse claque par le récit de cette autrice qui révèle peut-être entre les lignes ce qu'un homme peut-être ne voit pas...
Selon la lecture que nous pouvons faire de ce roman, celui-ci peut faire froid dans le dos.
Une dernière fois je contemple la couverture du livre. Une fois connue la fin du récit, je comprends beaucoup mieux le sens de cette image.
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