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Critique de Aaliz


« Toute ma vie, j'ai choisi le camp du mal. Personne n'aurait pu me convaincre de faire autrement. Je n'en aurais rien eu à foutre que Dieu apparaisse sur l'autoroute en me disant : « Hé, Jon, c'est moi, Dieu. Laisse tomber le camp du mal, toutes ces conneries, et je prendrai soin de toi. » Pas de danger que ça arrive, j'ai toujours été trop fidèle à Satan. […] Après avoir bossé pour lui toute ma vie, je pense être l'un de ses meilleurs représentants. »

C'est en 1948 au sein d'une famille liée à la mafia que naît Jon Riccobono alias Jon Roberts alias Cocaïne Cowboy. Jon grandit dans le milieu, accompagnant, très tôt déjà, son père mafioso, dans ses tournées. A 7 ans, une scène le marquera pour toujours et déterminera sa vision du monde et sa propre personnalité :

« Je pense que ce meurtre m'a transformé. Dorénavant, mes réactions ne seraient plus celles d'un type normal. […] Mon père avait fait de moi un soldat […] m'avait donné une autre leçon en abattant cet homme devant moi : il m'avait montré que l'impunité, ça existe. Ce n'est pas ce qu'on nous enseigne à l'école. Il n'est pas allé en prison, Dieu ne l'a pas puni en lui emportant une jambe ou en lui collant un cancer ; son geste n'a rien changé au cours des choses. Morale de cette histoire : tout est permis à condition de ne pas se faire coincer. Peut-être la meilleure leçon que j'aie jamais reçue ! »

Adolescent, Jon se lance dans le braquage. Les bagarres de rue, la violence, ne lui font pas peur, au contraire ! N'écoutant que lui-même, Jon finit par déraper et se faire arrêter. Il échappe à la prison en s'engageant pour la guerre du Viêt-Nam. Là où d'autres sont devenus fous devant les atrocités commises, Jon ne ressent rien et reste totalement indifférent. Torturer ne lui procure pas forcément de plaisir mais ne lui cause aucun scrupule non plus. A son retour, il réintègre bien vite le milieu et la « famille » en se chargeant de la gestion d'un ensemble de clubs-discothèques. Il reprend son activité favorite et braque les étudiants petit-bourgeois accros à la drogue.
Impliqué dans une sale affaire d'enlèvement, il doit « disparaître » et s'installe à Miami. Il y intègre les cercles cubains puis colombiens, s'adonnant au trafic de cocaïne et il devient alors un des pivots du cartel de Medellin côtoyant les grands noms du crime organisé américain : Don Ochoa, Meyer Lansky, Pablo Escobar etc…

Evan Wright, journaliste, entreprend de recueillir les souvenirs d'un des plus célèbres criminels que les USA aient connus : Jon Roberts. American Desperado est le résultat de cette enquête et retrace la vie du Cocaïne Cowboy. Plongée abyssale dans les milieux mafieux et du trafic de drogue, l'ouvrage se présente à la fois comme une autobiographie à la première personne et comme un documentaire. La parole alterne entre le témoignage de Jon, ceux de ces anciens acolytes, de sa famille et les interventions de Evan Wright qui profite de ces encarts pour préciser, expliquer certains points mais aussi revenir sur certaines affirmations de Jon remises en cause par des témoignages divergents ou par l'absence de preuves.

Le ton est celui d'un homme extrêmement sûr de lui, qui ne regrette absolument rien et ne cherche nullement le pardon ou la rédemption. Si on peut être amener à le haïr profondément dans les premières pages, on finit par lui trouver un côté attachant. Sa loyauté, sa fidélité à ceux qui ne l'ont jamais trahi, sa capacité à comprendre les revirements de quelques-uns de ses amis et sa réticence à s'en prendre à eux lorsqu'on le lui demande éclairent un peu ce sombre tableau. Il n'en reste pas moins que Jon est un homme violent, parfaitement lucide sur ce qu'il est et ce qu'il fait et très intelligent. Tout au long de son parcours, il a su s'entourer des plus compétents à l'instar d'un Mickey Munday génie du bricolage capable de vous transformer un vieux rafiot en navire furtif de la dernière génération. C'est grâce à ce don pour dénicher les « talents » et à son efficacité que Jon a pu monter rapidement les échelons passant de la simple distribution à la gestion du transport de la cocaïne. Son témoignage permet de découvrir toutes les facettes du trafic de drogue jusque dans les détails explicitant les façons d'opérer, les techniques utilisées, les moyens matériels employés.
On est abasourdi devant l'incroyable organisation et les rouages si bien huilés de cette grande machine criminelle. Les combines pour déjouer la surveillance des autorités permettent à Jon d'avoir longtemps le dessus dans ce que l'on appelle alors « la guerre contre la drogue » des années 70-80. La police, la douane, les garde-côtes, DEA, FBI se font mener en bateau pendant que la CIA travaille à ses intérêts en n'hésitant pas à recruter au sein même du milieu. Jon lui-même devra accepter une mission. D'autres retourneront définitivement leur veste et finiront leur carrière aux services-secrets.

Si on sait que le point de vue de Jon est obligatoirement subjectif et partial, qu'il peut avoir exagéré ou édulcoré certains faits, il nous permet de constater que la réalité atteint voire dépasse la fiction. Sa période ado a des relents d' Orange Mécanique. Son parcours, un mix du Parrain, des Affranchis et de Scarface. Il ne nous épargne rien et nous parle de la même façon autant des scènes glauques et violentes que des anecdotes et péripéties les plus ubuesques. Il n'épargne personne non plus, célébrités, fonctionnaires de police, politiciens, juges, avocats, procureurs. La corruption permet de tout absoudre. Mieux encore, la guerre contre la drogue a permis aux trafiquants du cartel de Medellin de prendre de l'ampleur !

« Ce qui était drôle, c'est que plus la Concurrence arrêtait les trafiquants, mieux c'était pour nous : elle les éliminait du marché.[…] La guerre menée contre la drogue a aidé le cartel de Medellin à contrôler quatre-vingts pour cent du marché américain de la cocaïne. En 1985, il n'y avait plus que nous. […] Merci le gouvernement ! »

American Desperado est une lecture étonnante, intense, instructive. le Mal inspire beaucoup cinéastes et écrivains. On ne sait pas toujours où s'arrête la fiction. Dans le cas de Jon, il ne s'agit pas de fiction bien que la forme de son témoignage tienne plus du thriller que de la confession. Cette immersion dans la peau et l'âme d'un grand criminel effraie mais passionne.

Bref, si vous souhaitez tout savoir sur comment bien frapper un type avec une batte de baseball ou avec un flingue, comment se débarrasser proprement d'un cadavre, comment éviter la prison si vous vous faites pincer, comment utiliser l'aviation militaire et les propriétés gouvernementales pour faire passer de la drogue sur le sol américain, comment contourner les contrôles des douaniers et des gardes-côtes et tout simplement comment vous faire un max de blé au nez et à la barbe des autorités, alors vous savez ce qu'il vous reste à lire.
Bienvenue en enfer !

Lien : http://cherrylivres.blogspot..
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