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Critique de LaBiblidOnee


2037, la Martinique n'est toujours pas indépendante. Elle est pourtant délaissée par la République française qui a exploité ses ressources mais ne résout pas les problèmes que cette exploitation a causé, comme la paupérisation d'une partie de la population, ou encore les problèmes de contamination de l'eau. Une partie des natifs victimes de la situation décident alors de mener leur combat terroriste pour affranchir la Martinique de la main-mise de l'envahisseur blanc.
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Parmi ces solda, Appolon, qui voit débarquer de France son frère métis, Charles. S'il l'accueille dans sa maison du bòdlamè, laquelle mer polluée est le seul moyen de prendre son bain tant la maison semble à l'image du pays : en transition inaboutie, en chantier temporaire devenu permanent, il l'obligera à choisir son camp. Soit il est du côté des blancs, auquel cas ses jours seront comptés, soit du côté des natifs et alors il devra le prouver, en agissant pour leur compte.
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Car retenez bien cette date, 2037 sera l'année de l'indépendance de la Martinique.
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Avec Les Choses immobiles, Michael ROCH nous ramène dans les îles, et retravaille ce thème qui lui est cher des actions de groupuscules terroristes visant à libérer la Matinik du joug des colonisateurs.
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Il utilise cette fois un univers moins futuriste que dans Tè Mawon, qui avait découragé certains lecteurs autant par son côté SF/anticipation que par le langage utilisé pour le récit : mélange de français, d'argots et de créole. Ici il continue de nous immerger en glissant des mots ou des phrases créoles, mais beaucoup plus éparses et isolées que dans Tè Mawon.
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« Les Choses immobiles » semble donc plus accessible. Pourtant, l'histoire ne nous est pas livrée toute cuite. Si nous entrons dans certains livres comme dans un tableau de maître, où le décor achevé nous invite simplement à nous laisser porter par l'ambiance, Michael ROCH me donne plutôt l'impression de travailler l'esquisse. On le voit dessiner le paysage et l'ambiance à coups de traits de crayons par-ci par-là, le bòdlamè, lanvil, tel personnage ou tel autre : des scènes et portraits qu'il nous revient d'animer, en les reliant entre eux par les bribes de pensées du narrateur ; même le point de vue fluctue avec cette narration passant du je au tu comme si, en fait de deux narrateurs liés par une grande tendresse, le personnage principal se parlait en réalité à lui-même.
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Ca donne au récit une oralité, une intimité et une proximité avec le lecteur qui tend vers le poème ou l'incantation ; Ca offre en même temps à Charles et au lecteur le recul nécessaire lorsque le narrateur lui prodigue conseils et encouragements, comme si Charles se parlait à lui-même, s'incitant à réfléchir, pour tenter d'y voir clair parmi les voies qui s'offrent à lui, les choix politiques et familiaux qu'il doit faire, les choix amoureux aussi, tout partagé qu'il est entre une situation insulaire loin de lui paraître idéale, et des idées et procédés qui heurtent encore sa sensibilité. Pourtant, et sans mauvais jeu de mots, Charles n'est pas tout blanc lui non-plus… Un pan de l'histoire familiale va, là-encore, nous être esquissé pour nous le prouver. Il est hanté lui aussi, par un serpent, une anguille qui rend ce retour au bercail et l'air entre les deux frères particulièrement électrique.
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J'ai bien aimé l'immersion linguistique, j'ai aimé voir tout un contexte se dessiner au fur et à mesure sous mes yeux pour me permettre de comprendre la situation et l'histoire en si peu de pages (à peine 100). La touche de réalisme magique est si légère qu'elle passe crème. J'avoue toutefois que je trouve toujours ce mode de narration par esquisses un peu frustrant car j'ai l'impression de ne faire que survoler l'histoire, le sujet et les personnages. Mais à la fin, force est de constater que nous avons une vue d'ensemble, un crayonné en noir et blanc du destin de ce métis. Mission réussie, donc, même si je n'en ressors pas tout à fait rassasiée - ce qui m'arrive souvent avec les romans courts (mais qui n'est pas arrivé à la flopée de lecteurs avant moi qui lui ont mis 5 étoiles !).
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Un grand merci aux éditions Mnémos pour leurs publications de qualité et à Estelle pour ce service presse en particulier.
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