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Critique de ATOS


ATOS
14 février 2017
Voyager. Partir. Emporter. Partager son temps et un peu du sel du vivant.
Pour un peu tenter d' « embellir le bruit du monde ».
Il ne voyage pas léger Olivier Rolin. Il trimbale des tomes de mémoires.
Des livres , des livres à faire revivre toutes les sonates de l'histoire.
Il trimarde sur les épines des miroirs.
La Russie. La grande, la rouge, la sonnante puis trébuchante... celle qui s'est perdue un beau jour sous le fracas de la chute d'un mur de glace.
La Sibérie. Immense. Immense à en prendre l'haleine de ses mots.
On la voudrait blanche ou tout au moins couleurs de belle tourbe ,
elle est toute parole de chair. La nostalgie est ce qu'elle est, un abîme, une question restée sans réponse, l'ouverture béante sur le port de nos doutes, de nos regrets, et des remords.
Il y a de l'amour dans l'encre de Rolin. Ça coule comme un fleuve. Un fleuve qui raccroche des preuves . Pour faire trace, recomposer des blocs de mémoire. Pour continuer sa route.
Voyager pour donner lecture. Pour reposer un peu en paix.
Lecture faite aux lieux, aux hommes, aux visages des femmes , aux odeurs, aux briques, aux phares, aux forêts, aux bois, aux âmes à tous les chevaux vapeurs de l'histoire.
Il y a de l'amour, mais il y a ce sentiment en filigrane, ce sentiment de gâchis, d'espoir brisé, l'écho d'une démesure déchirante. L'amertume d'une absence, Ce sentiment comme un parfum glissé entre les pages.
Redoutable Sibérie. C'est par le BAM, la ligne Baïkal- Amour Magistral ...une ligne au-delà du mythe. C'est de grand Ouest en large Est que Rolin nous conte son tour.
Du coeur sibérien aux lèvres du Pacifique. Des kilomètres de voies ferrées dont la poudre des os de celles et de ceux qui les ont construits fait crisser des millions de noms sous les mâchoires de ses rails.
à chaque halte : Folie humaine, gisante à présente, endormie, terre à présent suppliciante.
«  le tragique particulier à beaucoup de paysages russes ne tient pas seulement à ce qu l'on voit, mais à ce qu'on y lit des destins qui s'y sont fracassés ».
Il en est de la Russie comme de tous les pays. J'en suis certaine.
Ce sont des ombres qui courent sur le ballast du BAM. Rolin regarde l'immensité du monde, et un silence effarant martèle chaque kilomètre.
Irrésistiblement attiré par la Russie, par ses couleurs, ses contrastes, Aimanté par sa littérature.
5000 kilomètres pour tenir toujours vivante sa flamme, 5000 kilomètres pour déclarer son chagrin face à la folle et absurde dictature stalinienne.
Il aime Tolstoï, Bounine, Nabokov, Tchekov, Ossip Mandelstam..il les aime, les partage, les offre, les faire renaître à chaque fenêtre.
Oui mais l'écoeurement est toujours présent , celui que lui procure ce rêve devenu cauchemar.
Il sait Rolin que bientôt les générations à venir ne sauront plus la réalité d'une Union Soviétique à présent ensevelie.. Tout disparaîtra.Tout sera engloutie.
Il sait pourtant que dans l'âme russe il y aura pour toujours cet « avant », avant, avant l'effondrement, cet avant qui résonne comme une fanfare fantôme où chacun croit avoir laissé toutes les grandeurs de son destin.
La Sibérie est tellement grande qu'elle pourrait peut être contenir le reste du monde.
Qui sait, si comprendre l'âme russe, cela ne serait pas comprendre également toute l'histoire de notre monde. Celle de maintenant, celle d'après , d'après ce qu'ils appellent « la catastrophe », celle qui entraîna la chute d'un mur , une chute qui aura suffit à arrêter les anguilles plantés dans le coeur de millions d'hommes et de femmes.
Quelle heure est il à présent ? Quelle nuit nous annonce t elle ? A quel siècle nous donnerons nous rendez-vous ?
L'effacement a commencé, entretenu, les puits, les mines, les usines, des villages entiers, gisent au fond d'une galerie qui peine à repanser son nom.
« Même dans la gaîté il y a toujours un fond de tristesse », bleu de larmes et rouge d'étoiles.
Il faut être extravagant, peut être à jamais enfant, pour courir à travers ces plaines.
Ouvrir un livre, pousser une porte, porter sa plume, « aimer l'étrange, mais tuer l'ordinaire ». Comme le grand Baïkal. Et puis « devenir l'oiseau qu'on peut être ».
5000 kilomètres « pour fermer une porte jusqu'à la fin du monde « , comme écrivait Borges.
C'est bien plus que le récit d'un voyage que nous adresse Olivier Rolin. Ceci est son témoignage .
Témoignage de la beauté d'un monde, sauvage, cruel, à la « déréliction magnifique » .La plus grande et la plus affreuse route du monde » comme l'écrivait Tchekhov. .
Voyager c'est de déshabituer écrit Rolin. C'est laisser tomber en chemin la cuirasse des habitudes. Prendre le risque du contact, de la caresse ou de la gifle, de la brulure, de l'écorchure. C'est embrasser son futur.
5000 kilomètres pour faire face à son propre destin.
Approcher un peu la vérité, s'est accepter de s'éloigner de ses ombres.
« La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! », à une passante Charles Baudelaire.
La Sibérie se déroula à la fenêtre du train , et elle me fit entendre le commencement du monde.
Voilà comment j'aurai pu commencer mon voyage...
«  pas d'autre bruit, pas d'autres mouvement que ceux que font les arbres avec le vent » ..
Il est des Amours déchirants, comme le sont tous les adieux que l'on adresse à nos rêves d'enfant.
Une chose est certaine : j'ai trop tardé, il faut que je lise Tchekhov.
Merci à l'auteur d'avoir laissé ce livre dans ce train.

Astrid Shriqui Garain
Masse critique «  Éditions Paulsen -Babelio »02.2017

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