— J’ai sauvé cette opération, monsieur. Si je n’étais pas intervenue à temps, l’homme violent aurait continué à se battre, à se droguer, il aurait tué le dépressif, la police serait arrivée, et tout cet argent serait resté dans la camionnette Toyota, que je viens d’ailleurs de nettoyer à fond, en effaçant toutes les empreintes digitales, et d’abandonner commodément très loin du lieu du braquage.
Dans un monde ravagé par les guerres, les meurtres en série, les massacres, les tremblements de terre et les génocides, tuer un seul être humain a quelque chose d'artisanal, qui n'atténue pas le crime, non, mais lui ôte une part de son apparence sordide.
La voix de son père lui conseille de faire attention en descendant l'escalier, tu es très grosse, Ursula, avec tous ces kilos les efforts ne sont pas conseillés, ton cœur peut lâcher. Arrête avec ça, maintenant, papa, je suis pressée, j'ai beaucoup de choses à faire. Regarde-toi, Ursula, tu devrais commencer un nouveau traitement pour maigrir, fais-le pour ta santé. Tais-toi, je t'ai dit, pour l'instant je ne peux pas. Et souviens-toi, je ne suis plus une gamine, papa.
Elle agite la tête d'un air las et continue de descendre avec précaution, met un pied devant l'autre, papa sait à quel moment lui parler et réduire son âme à la taille d'une lentille.
La voici qui arrive au deuxième étage, s'arrête, peut être pour se reposer ou reprendre son souffle, mais Ursula effectue un tour à 90 degrés et marche rapidement jusqu'à l'appartement le plus proche. C'est le 201, où habite un couple d'étudiants ou d'employés de banque, elle n'est pas sûre. Elle touche la porte sans faire de bruit, colle le visage contre le bois, d'abord la joue, la bouche puis prête l'oreille, semble vouloir écouter quelque chose.
— Dois-je vous être reconnaissant d’être venue, d’avoir tué un de mes hommes, kidnappé l’autre et pris le contrôle de mon opération, en plus d’avoir emporté tout l’argent ?
— C’est à vous de décider si vous ne voulez pas reconnaître votre inefficacité à planifier et choisir les bons complices pour vos vols.
— Vous vous foutez de moi ? C’est moi qui ai organisé cette opérat…
— Mal, monsieur, tellement mal que le fourgon blindé est arrivé en avance, vous n’avez pas recruté le nombre de personnes nécessaire à cette opération, l’une des trois a déserté au milieu du braquage, un autre de vos hommes était un maniaque meurtrier qui a failli tuer tous les gens du quartier, et le troisième s’est évanoui parce qu’il avait une crise de panique. Pouvez-vous me dire ce que vous avez organisé ?
— Je vais vous dire ce que je pense. Cette opération comptait quatre membres, vous, le déserteur, le violent et le déprimé. Après une série d’aléas que je ne veux pas répéter pour ne pas vous mortifier davantage que vous ne devez déjà l’être, il reste vous, le dépressif et moi.