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Critique de JulienDjeuks


Il est important de préciser que l'essentiel des erreurs historiques qu'on prête à La Guerre du feu, concerne en réalité ses adaptations cinématographiques : l'apparence des hommes, la bestialité supposée des races anciennes Néanderthal ou Erectus. Or, Rosny se garde bien de différencier les tribus d'après différentes espèces d'hommes identifiées. Il évoque simplement une diversité des peuplades humaines, tant dans leurs traits physiques (co-présence de différentes races), que culturels (avancées techniques, pratiques comme le cannibalisme…). Mais la force du travail de Rosny n'est pas dans son aptitude à illustrer dans les détails les découvertes scientifiques et archéologiques de son époque, mais dans sa sensibilité à la reconstitution d'une pensée primitive en formation et même d'une pensée animale. Les interactions animales et humaines sont détaillées psychologiquement, le lecteur suivant leur cheminement mental, des sensations à la pensée ébauchée. C'est d'ailleurs davantage dans la peinture des espèces animales anciennes disparues, ainsi que dans la description des paysages, que Rosny fait passer le plus de poésie.
À partir d'une quête de type concurrentielle, la Guerre du feu devient une fable sur l'entraide qui permet à l'espèce des Oulhamr, plus particulièrement à Naoh, en s'associant d'abord à ses amis, puis aux mammouths puis à une autre espèce d'hommes, les Nains-Rouges dont ils ont sauvé gratuitement un individu, d'amener ou plutôt de propager la technique de création du feu. Contre le vol originel planifié, l'humain triomphant est celui de l'entraide. Cette réflexion est sur ce point à mettre en parallèle avec celle du livre de Kropotkine : L'Entraide, un facteur de l'évolution (de 1902, soit sept ans plus tôt). C'est l'entraide qui marque la force de l'humanité, son développement, non sa force supérieure, ni même son intelligence. L'exemple des deux groupes concurrents est parlant : Aghoo ne compte que sur sa force pour voler le feu, et il échoue car Naoh et les siens s'entraident. Ainsi, l'enjeu de l'aventure, la quête, n'est pas la possession d'un objet après une guerre entre espèces, tel que l'annoncerait éventuellement le titre, mais la survie par la propension à s'entraider, à être en phase avec un environnement, à comprendre la nature, les animaux et à les respecter.
Si le Feu représente le Graal des légendes arthuriennes, il n'est pas moins un prétexte. Ce qui importe est bien la quête, initiatique, qui tout comme elle forme les chevaliers à une idéologie civilisée respectueuse des femmes et de la parole éclairée, forme ici les premières populations à des valeurs supérieures qui garantiront la survie. Rosny ne se prononce pas sur une prétendue supériorité génétique de l'homme moderne qui aurait survécu grâce à ça. Si la sensibilisation à une pensée primitive et même animale constitue le coeur du projet poétique de Rosny, c'est bien celle-ci qui signifie pour Rosny la raison même de la survie de l'espèce humaine : son aptitude à bien vivre avec son environnement (là où les Dévoreurs d'Hommes servent évidemment de contre-exemple). L'espèce d'hommes plus fragile des Nains-Rouges, malgré son déclin, s'insère dans l'évolution humaine : la maîtrise du feu n'est pas l'acquisition d'une technique par l'intelligence mais bien la divulgation d'une technique trouvée par hasard, divulgation qui ne peut être que le résultat de l'entraide humaine, de l'échange pacifié, non de la concurrence des groupes d'hommes.
Bien que la valeur puisse être identifiée comme chrétienne, Rosny évite toute maladresse et naïveté de ce type. Il évite tout développement des croyances primitives, les réduisant à une difficile naissance de la pensée, de l'émerveillement face à la grandeur de la nature.
Lien : https://wordpress.com/block-..
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