AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lune


Le langage est musique et, ici, les mots sont les notes disposées sur une portée de 219 pages.
L'auteur a construit son livre comme une suite symphonique émotionnelle, depuis l'ouverture en passant par l'allegro, le scherzo, le fugato et le final, telle la musique savante que le « metteur » – Michel Rostain est metteur en scène d'opéras – , fréquente en érudit et en avant-gardiste (sa description de « l'anarcho-laïcar de type irrespect agressif contre les pouvoirs rassis et les bonnes âmes » le positionne dans le monde artistique puriste, rigoureux, novateur presque mystique, bien loin de la culture de consommation).
Au centre des mouvements, un terme bien connu des émissions de variétés rétro-nostalgie, tant appréciées en notre décennie, surgit décalé : le medley.
Quand la Musique rencontre la musique voire la musiquette ou musique populaire, les deux se dévisagent, s'étreignent et s'écharpent, le soufre de l'une exalte la souffrance de l'autre. S'apprivoisent-elles ?
Un peu, beaucoup, pas du tout, jusqu'à la folie : un véritable mélodrame se joue (autre terme plus théâtral et combien évocateur) hors réalité dans cette rencontre entre Odette l'accordéoniste, ancienne gloire des années 50 n'acceptant pas de n'y être plus, reine déifiée de la musique popu et le « metteur » sollicité pour la mettre en scène.
Dès le début du livre, nous reconnaissons cette femme aux cheveux flamboyants dont on (je) regardait (s) distraitement l'apparition kitsch à la télévision il y a quelques décennies et dont la musique, synonyme peut-être à tort de musette, nous (me) faisait (s) dresser les cheveux sur la tête, un peu comme elle ...
Nous nous reconnaissons dans ce que l'auteur en dit et nous imaginons plus qu'il ne faut ce bazar dans lequel elle vit et cet ego agaçant qu'elle porte en bouclier.
Puis, Michel Rostain introduit dans le scherzo une mise en garde qui nous déroute. Ce qui écarquillait nos yeux s'avère-s'avérerait déformé par la longue vue des années et le grossissement imaginatif de l'auteur.
Notre lecture reprend, différente, et nous tâchons de décoder fiction et réalité ; le doute subsiste...
Qu'importe ! Là n'est pas l'essentiel. La lecture devient de plus en plus ardente, à fleur de sensibilité.
Aime-t-on Odette ? Notre empathie se calque-t-elle sur celle du « metteur » ?
En ce qui me concerne, elle m'apitoie et m'agace, je la scrute et la rejette, je la plains et la maudis, je refuse l'aura si bien décrite par Michel Rostain. Sans doute suis-je trop méfiante ?
Je m'oublie et tente de comprendre la descente aux enfers de la « vieille » qui ne veut pas l'être, étoile qui s'éteint, jetant quelques derniers éclats autour d'elle, avide de conserver cette lumière qui fut l'oxygène de sa vie. Vie qui apporta du bonheur à d'autres vies.
Je frémis devant les doigts qui jouent dans ce vide qui ne l'est que pour nous.
Pitoyable et inébranlable condition de tout être humain : vieillesse et mort.
Toute sa cruauté apparaît dans la perte de ce qui fut, pire que la disparition finale.
La dissection de l'impuissance de tout homme devant ce délitement est présentée précise, sans espoir, en une attente douloureuse si le courage (?) d'en finir lui manque.
Finir. Finale de l'oeuvre. Finale de l'être. L'être et son oeuvre. L'oeuvre qu'est l'être.
Finale du livre en quelques lignes qui font mal mais qui rassurent : nous sommes tous pareils.
Il y a l'étoile et la vieille. Elle a brillé certes un peu plus que les autres, mais toutes s'éteignent et se rejoignent.
Nous suivons avec compassion les affres du metteur en scène qui sait qu'il va droit dans le mur, fidèle-infidèle à ses nobles convictions sur l'acte théâtral et sur l'approche scénique.
Elles éclairent les amateurs de créations artistiques. Elles leur confèrent les lettres de noblesse qui font oublier la médiocrité culturelle ambiante.
Un livre qui touche et le coeur et l'esprit, écrit dans un style naturel.

Merci à Babelio et aux Editions Kero de m'avoir permis cette découverte en avant-première.
Commenter  J’apprécie          173



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}