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Critique de Kirzy


Kirzy
13 décembre 2021
Ce n'est pas le premier roman à aborder les thèmes lourds de l'inceste et de l'enfance martyre, mais il le fait avec une audace et un brio incomparables qui rendent ce livre marquant dans une vie de lecteur. On y sent à quel point l'auteur n'a pas cherché à "faire quelque chose", on ne sent jamais l'intention, on sent juste l'urgence, incandescente, à raconter la vérité d'un homme maltraité par la vie au point de dire à la nuit «  tu ne me feras pas peur j'ai plus de noir que toi dans mon enfance ».

Dès les premières lignes, j'ai été attrapée à la gorge par la puissance qui se dégage de ce récit. Duke est en prison, au soir de sa vie, il entame un travail d'écriture, obsédé par la perspective de sauver quelque chose de lui, sauver son âme en se débarrassant de ce démon qui le harcèle, le déborde. Ce démon, c'est l'incarnation de cette absence d'explications à ces actes criminels. Ce démon, il est apparu sur la colline aux loups, dans la maison où il a grandi, violenté par ses parents, violé par son père. Tout le roman est centré sur cette bataille intérieure extrême.

« Je sentais bien que j'avais à l'intérieur une trace qui ne partait pas c'était la déchirure de l'enfance c'est pas parce qu'on a mis un pont au-dessus du ravin qu'on a bouché le vide ».

Le premier tiers du roman raconte des faits insoutenables, de ceux qu'on entend dans les tribunaux ( l'auteur est journaliste judiciaire ) et qui donne envie de se boucher très fort les oreilles de peur d'être souillé par les images qu'ils charrient. La lecture est émotionnellement éprouvante, et pourtant j'ai refermé le livre presque apaisée ou du moins libérée d'une tension exténuante. L'outrenoir est traversé de rais de lumière bouleversants lorsque Duke découvre la beauté du monde ( anagramme de démon ) : une délicieuse sucette, le prénom de sa soeur, l'herbe entre les orteils, la houle de la mer qui accomplit ses rêves de rébellion, de force et de liberté, une séance de cinéma avec un documentaire animalier qui lui donne envie d'être un oiseau et de ne plus être un homme.

Mais delà de ces instants d'éphémère lumière, c'est la formidable écriture de Dimitri Rouchon-Borie qui permet de surmonter le sordide décrit. Ce parler, qui devient écrit, est une plongée directe dans la tête de cet homme-enfant. Il faut l'apprivoiser. Elle n'a aucune virgule, aucune conjonction de coordination, sa syntaxe est brisée, syncopée, la logique des enchaînements complètement décalée. Et pourtant, sa respiration vient toute seule au bout de quelques pages. Les mots de Duke sont d'une authenticité absolue, l'auteur parvenant à capter toute la candeur et la vérité de cet homme brisé par son enfance. de cette langue si singulière naît la représentation du monde qu'il a construit autour de la genèse de la violence.

La langue comme rédemption possible. Les dernières pages sont sublimes et basculent tout naturellement vers une réflexion quasi philosophique, existentialiste, sur l'hérédité du Mal, sur le liberté de nos choix et la responsabilité de nos actes. Au final, l'épilogue sublime le flot de sensations et d'émotions qui ont saturé le roman.

Juste époustouflant. Mon ultime coup de coeur pour l'année 2021.
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