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Critique de mesrives


Etals débordant de sagou blanc, noix d'arec, feuilles de bétel, c'est le spectacle qui attend le flot de migrants en provenance de Jakarta, après un voyage de 12 jours d'angoisse et de nausée sur le Kelimutu, au port de Pomako.
Bienvenue en Papouasie Occidentale et direction Timika, point de convergence de toutes les espérances, des diplômés aux petites mains en passant par les vieux renards, tous viennent tenter leur chance dans cet Eldorado moderne, sauvage, et violent.
Timika, coeur d'un no man's land qui palpite au rythme des prélèvements du sang de la terre.
Timika sous l'emprise de l'armée et de la police nationale indonésiennes et de la compagnie minière américaine Freeport.
Freeport installée en Papouasie occidentale depuis les années 70, quatre années après son annexion par l'Indonésie en 1969 .
Freeport exploitant de la plus grande mine d'or au monde à ciel ouvert et de cuivre à plus de 4000 mètres d'altitude, la mine de Grasberg.
Alors oui, bienvenue à Timika !

« Whoop whoop whoop … Papua Merdeka ! »
Et oui, vous les avez peut-être entendus mais pas encore vus ! Car ils sont où les Papous ?
Ceux dont on vient d'entendre le signe de reconnaissance sont les indépendantistes et ils sont bien planqués, les autres ? orpailleurs à Gresberg  ou encore entassés dans des baraquements en train de crever ...
Face à cette marée humaine venue de tout l'archipel mélanésien, les Papous sont ceux à qui profite le moins cette fièvre aurifère: retranchés dans des camps en montagne, décimés par le Sida et la tuberculose, empoisonnés par les rejets toxiques, et dépossédés de leur terre .
Nous sommes ici à la fin des années 90, l'OPM, Organisation de Libération de la Papouasie (Papua Merdeka) dont le leader vieillissant, Kelly Kwalik a changé son fusil d'épaule (ou son arc comme dirait Nicolas Rouillé), prône désormais une lutte non-violente. Mais cette nouvelle ligne n'enchante pas les plus jeunes qui rêvent de renouer avec une branche armée active et des actions spectaculaires…

Dans cette zone de non-droit militarisée, où la Route de Freeport et de ses pipelines balafrent la région de Portsite à la mine de Gresberg, la circulation est étroitement surveillée et sous contrôle.
Ici, la collusion entre l'armée et la police entrave toute liberté, sans parler des exactions du Kopassus (Forces spéciales de l'Armée indonésienne), pourtant quelques malins sachant jouer avec le système passent entre les mailles du filet, autant dire que la marge de manoeuvre pour les nouveaux arrivants comme pour les Papous est vraiment très très serrée.
Dans ce contexte chaud bouillant où le terrain de jeu est miné, certains jeunes indépendantistes ont les nerfs à cran. Un d'entre eux, Alfons, décide de passer à l'action… mais pour cela il faut des moyens, et quand on ne les a pas alors il y a la débrouille, la magouille… et donc la chance de tomber sur d'odieuses fripouilles !
« Whoop whoop whoop … Papua Merdeka ! »

Alors ? Alors j'ai adoré me perdre dans cette poudrière et mettre les pieds dans ce bourbier !
En enjambant les pas de pak Sutrisno, le migrant javanais, pour connaître les douleurs et les affres de l'exil,
en suivant les traces d' Alfons dans la forêt pour en percer les secrets, en accompagnant le journaliste Gilmore pour rencontrer Kelly Kwalik…
Mais j'ai aimé aussi gamberger et flipper en mettant le nez dans les magouilles et les innovations de Bambang , voler au dessus de la Grande barrière de Corail pour retrouver la diaspora papoue de Melbourne etc...
Les portraits sont touchants. Les tableaux saisissants. Les visions fulgurantes. Les odeurs, les couleurs présentes et prégnantes.
Une intrigue qui nous projette dans un système politique corrompu et les rouages de la colonisation.

Réaliste, poétique, humoristique, ponctué de passages envoûtants et émaillé d'expressions en logat papua (indonésien dégénéré), l'écriture de Nicolas Rouillé est tout cela à la fois : dense, légère profonde et précise. En donnant une densité et un rythme au récit, l'auteur, écrivain voyageur, nous embarque avec lui et réussit à nous faire vibrer, ressentir l'atmosphère, l'ambiance de cette région minière tout en suivant les trajectoires uniques de personnages réels ou fictifs…
La construction de texte est étonnante ! la typographie permet d'inscrire aux marges de la narration un véritable mémorial, saisissant et émouvant, dédié à tous les Papous disparus, assassinés, torturés … les chiffres officieux parlent de 100 0000 à 400 0000 disparus lors d'exactions par les autorités indonésiennes !

Magnifique roman noir, mais aussi roman d'aventures,Timika western papou, nous entraîne dans un maelstrom d'émotions et de ressentis à travers le quotidien des protagonistes dont la diversité confessionnelle et culturelle permet au lecteur d'appréhender la complexité politique, et socio-économique de la Papouasie occidentale.

Un roman social au coeur d'un enfer tropical, d'une forêt primaire en voie de disparition et un peuple en danger.
Une récit qui s'inscrit dans l' histoire d'une minorité qui continue a être bafouée, sacrifiée et dont les terres sont violées.

Un roman à dévorer. Un roman qui a une âme, un roman habité par les esprits papous. Peut-être qu'un jour, dans une aube brumeuse le « Morning  Star» flottera au dessus de Timika.

Merci Nicolas Rouillé, pour ce grand voyage, fascinant, coloré et explosif et merci aux éditions Anacharsis pour ce Timika western papou !

A lire de toute urgence ! Et de mon côté une énorme envie de rencontrer Nicolas Rouillé !




Il m'a été impossible de terminer ce billet sans faire un petit tour sur la toile pour connaître l'évolution du conflit entre les autorités indonésiennes et les Papous :
à l'heure actuelle , les Papous continuent leur combat pour l'indépendance au sein du KNPB, Comité national de la Papouasie Occidentale, créé en 2008, et milite pour un référendum et le droit à l'autodétermination. Un de leur représentant, Filep Karma a été inculpé de "rébellion" en 2004 pour avoir hissé le drapeau de la Papouasie libre, le Morning Star, lors d'une cérémonie pacifique et a été condamné à 15 ans de prison … malgré l'ouverture « démocratique » annoncée par le président indonésien Joko Widodo.
Les termes récurrents lors de ma recherche : Ecocide- Génocide- Désastre-
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