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Critique de CeCedille


Dans Face au passé (Belin, 2016, 326 p.), Henri Rousso a rassemblé et mis en forme des contributions et articles qu'il a eu l'occasion de publier autour de thèmes dont il est spécialiste : la mémoire, l'histoire, l'oubli, les politiques mémorielles, en France et dans le monde. Son essai sur « la mémoire contemporaine », à la fois historique et philosophique, met en belle perspective cette difficulté que les sociétés ont à assumer leur passé.

« Pour préparer l'avenir, il faut faire face à son passé » dit-on. Et Rousso relève que, curieusement, le passé nous a dépassé : il se trouve devant nous, et non plus derrière, « comme un problème à résoudre, comme un obstacle à surmonter, presque comme un adversaire à combattre ». Curieux retournement, à la Pierre Dac ! « Une fois le passé affronté - et si possible vaincu -, peut alors s'ouvrir une ère de paix et d'harmonie. »

Pas étonnant que la psychanalyse soit invoquée dans ce travail agonistique avec la mémoire. « Vichy , où le retour du refoulé » : la formule avait valu à l'auteur quelques critiques. Il a la modestie et l'honnêteté de ne pas toutes les écarter. Mais il garde de l'approche psychanalytique la vertu de sensibiliser l'historien « à sa propre subjectivité, à son propre imaginaire » et aussi de « désenchanter le passé et assumer une fonction symbolique de savoir tout en sachant lui laisser sa part irrévocable de mystère ».

De l'histoire de Vichy, comme de celle de la guerre d'Algérie, notre auteur dégage un modèle mémoriel cyclique : « une phase de liquidation de la crise, qui dure en général une décennie et se clôt par des lois d'amnistie, suivi d'une deuxième phase plus courte […] d'amnésie, au moins sur le plan de la mémoire officielle… s'ouvre ensuite une phase d'anamnèse, de retour de mémoire… donnant même lieu à des formes d'hypermnésie. » En même temps, il note que l'histoire de la France se réclame toujours à la fois de l'exception nationale et de l'universalité de son modèle, faisant un joyeux pot-pourri de sa singularité et de son exemplarité !

Le propos du livre est plutôt illustré par des exemples tirés de l'histoire du temps présent. Les politiques mémorielles de notre pays, qui sont passées en revue, en disent autant sur leur temps que sur leurs initiateurs. De Gaulle, amnésique, abolit par ordonnance le passé détesté d'un État français « nul et non avenu ». Il préfère l'avenir à faire à l'histoire qu'il a déjà faite. Pompidou gracie Touvier « pour oublier ces temps où les Français ne s'aimaient pas », juste au moment où ressuscite leur mémoire , embarrassante pour Mitterrand qui est rattrapé par ses ambivalences. Au « marketing mémoriel » de Sarkozy, Rousso préfère le « devoir de mémoire » chiraquien qui impose à la République la succession d'État de Vichy, et la « mémoire de synthèse » hollandaise, conciliant mémoire héroïque et mémoire victimaire.

Au passage le lecteur aura rafraîchi ses souvenirs de la curieuse construction du négationnisme qui, se réclamant des règles de la critique historique, s'est nourri de la complaisance de certaines universités. Il aura revécu l'histoire du procès d'Eichman, dans une version plus complète que les brillantes mais hâtives conclusions d'Hanna Arendt, partie avant même le début de l'interrogatoire de l'accusé.

La mémoire change avec le temps : ainsi la commémoration du centenaire de la Grande Guerre célèbre aujourd'hui un destin funeste qui s'est abattu sur des combattants semblablement unis dans l'adversité, quel que soit leur camp. Disparues, les raison de la guerre, les responsabilités des dirigeants ! Mauvaise guerre tout court ! Bonne guerre au contraire, que la deuxième guerre mondiale. Guerre contre le nazisme et la tyrannie, avec la célébration des valeurs de la résistance.Mémoire positive et mémoire négative coexistent dans une tension permanente: quelle est l'histoire dont on doit avoir honte et celle dont on doit être fier ? le mémoire négative est plus difficile à commémorer que la mémoire positive, dans laquelle les politiques ont toujours trouvé un réservoir d'énergie nationale. Ce n'est qu'en 1993 que la commémoration du Vél d'Hiv a vu le jour, première commémoration négative officielle. Le surgissement si tardif de la Shoah est curieusement contemporain des génocides de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. Qui avait dit « plus jamais ça » ?

Quand l'analyse s'élargit à l'Europe et au Monde, resurgissent aussi les vieilles blessures - la question de l'esclavage - toujours sensibles et honteuses, sans crainte d'anachronisme. Les lois mémorielles fleurissent. L'effacement des frontières entre le passé et le présent « rend les contemporains comptables, juges, expiateurs de tous les crimes commis par nos ancêtres ». Imprescriptibilité générale dans un passé qui n'est jamais révolu! La mémoire peut alimenter les concurrences identitaires : "la mémoire longue, c'est le moteur du ressentiment, et le ressentiment, c'est le moteur du prochain conflit".

Henry Rousso voudrait l'élaboration d'une mémoire qui ne soit plus étroitement nationale. Mais si l'on peut faire des manuels d'histoire franco-germanique, le temps n'est pas encore venu de traiter du communisme dans un discours commun au démocraties occidentales et aux anciens pays de l'est, Russie comprise, qui reste susceptible sur un passé dont elle a pris le contre-pied ! On ne parlera même pas d'un manuel de la même encre sur le conflit israélo-palestinien ou sur l'histoire de l'Amérique du Sud, tant les mémoires en conflit ont encore un long chemin pour se retrouver un jour dans une histoire commune.
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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