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Critique de Apolline27


Aurel Timescu, un personnage haut en couleur doté d'une épaisseur romanesque accrue dans cette troisième enquête, par ses aventures précédentes, mais aussi, paradoxalement, d'une réalité saisissante qui donne l'impression en le lisant de le rencontrer en chair et en os. Ouvrir le roman, c'est aller retrouver un vieil ami.

Par contre-coup, l'intrigue en elle-même passe au second plan. le mystère qui entoure la mort tragique de Marie-Virginie n'a pas d'autre fonction que celle d'aiguillonner la curiosité d'Aurel et de nourrir son entêtement. Car, elle, en revanche, tout aussi belle et charmante qu'elle ait pu être, n'a aucune réalité, pas même celle d'un fantôme. Elle n'a pas d'existence.
A contrario, tout chez Aurel fait sens et fait image : son noeud paillon à pois, son vieux smoking usé jusqu'à la trame, son vieux manteau trop long et trop chaud, ses bottes en caoutchouc... Tout cet accoutrement rocambolesque loin de le ridiculiser, le pose comme figure antithétique et vivante du consul classique soumis aux normes de sa profession. Aurel tire sa puissance romanesque de sa capacité à inverser les valeurs et les codes d'un univers conventionnel et figé dans ses conventions. Lui, Aurel, le roumain exilé, le petit consul français qui sillonne le monde au gré d'affectations improbables décidées par une administration qui ne sait pas quoi faire de lui, lui Aurel traîne après lui, comme accrochées à ses basques, comme rivées à ses poches trop grandes et déformées, toutes les tragédies de l'histoire de l'Europe du XXème siècle.

Alors cette rencontre avec Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan, au bord de la mer Caspienne, aux confins du désert, cette vieille ville au croisement des anciennes routes d'Orient, Bakou tiraillée entre sa fidélité au vieux pouvoir clanique, sa fierté d'avoir été le fer de lance du pouvoir soviétique en Orient, et son goût immodéré pour l'or que lui garantit son pétrole, Bakou souvent conquise mais toujours acharnée dans sa volonté d'indépendance, Bakou, la cité du vent et la cité du feu qui défie le Caucase, cette rencontre avec Bakou est un trait de génie du destin, du narrateur, du conteur. A Aurel, Bakou offre ses terrasses de café et ses verres de vin blanc, ses vieux pianos cachés dans les recoins de ses appartements, une prison sinistre, les tours du feu et le hall luxueux de l'hôtel Fairmont, le souffle doux du Gilavar, le vent venu des terres chaudes, ou celui plus rugueux du Khazri né des soupirs de la mer Caspienne. Alors, Aurel Timescu ressent et frôle toutes les couches superposées du temps, comme si vibraient et planaient encore les frénésies du premier congrès du peuple d'Orient, les vicissitudes de la période soviétique, les horreurs des pogroms anti-arméniens et les saveurs de l'indépendance aux arrière-goûts de pétrole.

Jean Christophe Rufin, en brillant chef d'orchestre, conduit cette lumineuse association de sa plume subtile et affûtée. On n'est jamais autant en symbiose avec les personnages qu'au coeur de la nébuleuse histoire de ce flambeur de la Caspienne qui, face à Aurel, ne fera pas long feu. Dans la dernière scène, belle antithèse de la première, le face à face au milieu de la pierraille et des rochers, tout au bord d' « un cratère de glaise luisante », sur un volcan de boue, Aurel impose à son adversaire la vérité de sa personne et la réalité de sa vie. Ce sera sa seule victoire mais magistrale, un rondo final à deux voix où la virtuosité de l'une écrase allègrement, mais sans violence, avec une efficacité prestement maîtrisée, les tressaillements de l'autre.
Dans ce nouveau roman, Jean Christophe Rufin aiguise son art du contraste et du non-dit, renforce son personnage de consul marginal et démontre encore une fois sa capacité à faire surgir des univers si vivants, si humains, que le lecteur a l'impression en lisant de les toucher, de les vivre. Et lorsqu'il lui faut refermer le livre, c'est avec tristesse, de celle que l'on ressent lorsque le temps de la fête est fini et qu'il faut partir, quitter un ami et un lieu auxquels on est précieusement relié.
Lien : https://veronique-de-haas.hu..
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