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Critique de Shaynning


Un diptyque destiné au lectorat jeune adulte comme aux adultes, qui nous livre sur un ton tranquille presque paisible l'histoire de deux hommes. Je déplore le titre en anglais de la version française, néanmoins.


Nozue frôle la quarantaine et l'heure est au bilan: concrètement il n'a pas spécialement voulu de promotions, malgré son travail visiblement productif qui en fait la coqueluche de son bureau, et s'il nourrit maintenant une certaine amertume face à son âge, il semblait apprécier sa petite routine. Néanmoins, elle semble bien morose maintenant. Togawa va quand à lui sur sa trentaine et se trouve être l'un des employés sous la direction de Nozue. On pourrait dire qu'il est physiquement très avantagé et contrairement à Nozue, semble savoir plus franchement ce qu'il veut. Dans ce contexte, on retrouvera les deux hommes à bavarder sur le plaisir qu'on les jeunes filles entre elles quand elles sortent et se côtoient, sans compter ces endroits "charmants" dont elles raffolent. Togawa, en prenant conscience de l'amertume de Nozue face à sa vie, propose alors à Nozue de faire comme elles, avec pour objectif ce qu'il appelle "une cure anti-âge". Les deux hommes se mettent alors à fréquenter des petites pâtisseries et autres cafés, s'ouvrant alors peu à peu l'un à l'autre.


Ça m'amuse toujours un peu de constater à quel point la culture nippone semble incroyablement clivée entre la "Jeunesse" des moins de 18 ans et les adultes. de même, elle me semble clivée entre les genres, avec des "trucs de filles" et des "trucs de gars", ce qui rend alors tout inconfortables et excités les gens qui s'amusent à frôler ou sauter la frontière entre ces deux âges et ses deux genres. Comme si manger des gâteaux ou faire des sorties étaient des "trucs de filles". Comme si avoir une vie sociale était un "truc de jeunes". C'est peut-être ce qui rend le fait de vieillir si difficile, quand on se retrouve dans un âge où seul le travail et la famille comptent. En ce sens, c'était amusant de voir tout le drame autours le simple fait d'aller manger des crêpes avec un collègue "plus jeune" et "inférieur" ( dans le sens hiérarchique, bien entendu).


Aussi, cette pyramide sociale de bureau n'est pas non plus totalement inconnue, dans le monde des mangas, on la retrouve souvent. Elle me semble très rigide, régie par des codes strictes et une importance autours du respect dû aux supérieurs. Ça explique du coup tout le malaise de Nozue face à cette situation dans laquelle il se retrouve "d'égal à égal" avec non seulement son cadet de dix ans, mais aussi son subordonné. Un sujet intéressant à traiter.


Pour ma part, j'ai vu assez rapidement que Togawa était "plus qu'intéressé" par son supérieur, au-delà de la simple étiquette de supra-respect de la hiérarchie qui frôle presque la profession de majordome , à ce stade! ^^ Je pense notamment au fait que Togawa trimballe deux parapluies parce que Nozue oublie tout le temps de vérifier la météo. Zéle de subordonné ou façon de prendre soin de l'être aimé? En outre, plus on voit les deux personnages se rapprocher, plus on constate que c'est de longue date pour Togawa, ça n'a donc rien d'un stupide coup de foudre. Nozue va aussi progressivement tomber amoureux, en voyant à quel point il évolue bien et se sent heureux en la présence de Togawa. En voilà une jolie relation.


Je souligne qu'à deux moments, Togawa n'a pas respecté les limites du consentement en s'imposant un peu trop sur certains gestes, mais d'autres gestes ont attendu l'assentiment de Nozue, donc on a un peu des deux. Heureusement, Togawa va s'excuser pour ses gestes déplacés.


Aussi amusant que ça puisse paraitre, Togawa semble avoir mieux cerné comment tricoter un bonheur quotidien que Nozue, avec cette façon de faire des expériences ( en dépit de ce que les autres vont penser, en plus). Ironiquement, c'est sur un conseil de Nozue, qui n'aura pas suivi ses propres mots finalement.


On va donc de niveaux en niveaux, du superficiel au profond, de l'anodin à l'intime, de manière très progressive. À travers les angoisses existentielles et les complexes de Nozue, on aborde la redéfinition de la vie, à la période charnière du 40 ans ( quoique dans la vraie vie, ce peut être aussi un autre chiffre rond, comme la vingtaine ou cinquantaine), mais aussi l'homosexualité. Fait étonnant, on a pas vraiment de "sortie de placard" de l'un et l'autre des deux hommes, comme si ça allait un peu de soit ou que ça n'a pas vraiment été l'élément perturbateur. En fait, Nozue semble une fois encore plus choqué que ce soit un homme aussi beau et jeune qui ait du désir pour lui que parce qu'ils sont du même sexe.


La question de ce qui est permis ou normal entre personnes de hiérarchie différente est au centre des préoccupations de Nozue et j,en conviens, quand il y a ce genre de rapport, une certaine ligne de conduite est de mise en milieu de travail. Mais est-ce quelque chose de plus "tabou" pour les japonais, je me demande?


J'aimais bien ce duo dépareillé, avec Nozue qui fait un peu de déni et un peu de drama, alors que Togawa ne passait pas par quatre chemins et verbalisait même les trucs les plus malaisants, franc et assumé. C'est aussi touchant de voir un personnage masculin si ouvert sur ses émotions et même sa sexualité. Autant être franc et authentique face à la personne aimée, ça risque de faire moins de non-dits et ça établit une bonne base de communication, l'élément souvent le plus carencé ( ou absent) dans les relations amoureuses.


Fait étonnant, ni Nozue, ni Togawa ne révèle leur prénom, et semblent ne pas avoir de famille.


Deux chapitres sont ajoutés à la fin pour donner une suite à la relation des deux hommes, le premier sur leur quotidien en couple et leurs perspectives à long terme, le second plus "croustillant" sur leur sexualité. C'est pas un Yaoi pour rien. Mais somme toute, c'est très léger sur la forme, on ne retrouvera pas de sexe avant ce fameux second chapitre et l'axe est plus sur le développement de la relation que sur tout le gang-bang sexuel de certains yaoi. Ça rejoint bien le titre, dans un sens: faire les choses "à l'ancienne" en prenant son temps. Ça, ça s'est clairement perdu avec l'air moderne, je trouve.


Côté dessin, c'est moins doux que le laisse penser la couverture, avec des traits parfois anguleux, des mains très maigres pas très belles et effilées, et des corps très longs et filiformes pas très proportionnellement réalistes. Reste que c'est joli, avec certaines mimiques très "shojo" avec le vocabulaire conséquent ( le mot "adorable" et "Mignon" sont très présents) et Togawa a un beau visage. Il est aussi bien plus typiquement oriental de visage que Nozue, quand à lui très occidental. Les mets sont très réussi, je reconnais là la force des japonais pour illustrer la bouffe! le traitement est doux pour sa part et les décors complets.


Un bon petit manga à lire à tête tranquille, sans trop se presser, parce que parfois, au détours d'une phrase, on peut en arriver à se questionner aussi, les considérations sociales et philosophiques étant nombreuses.


À découvrir!


Pour un lectorat Jeune Adulte ( 17 ans+) et adulte.
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