Mystik aurait donné ou fait n'importe quoi pour un ami. Rien au monde n'avait plus de valeur.
— Spéciaux ? Pedigree ? Tu m’as pourtant l’air d’un chat tout à fait ordinaire : quatre pattes, deux oreilles, deux yeux, un museau, une queue. Comme tout le monde ! La seule chose qui m’importe, c’est ce que tu fais dans la vie.
— Vois-tu, mon enfant, ce que tu es et l’endroit d’où tu viens n’ont aucune importance à mes yeux. La seule chose qui compte, c’est ce que tu fais. Nous sommes ce que nous choisissons d’être. Un chat qui applique le Don est un vrai bleu de Mésopotamie. Tout ce que tu dois faire, c’est avoir confiance en toi et te dire que tu es digne d’être un bleu.
— Mais, et mes yeux…
— Tes yeux ?
— Ils ne sont pas de la couleur habituelle pour les bleus de Mésopotamie.
— Ah non ? s’étonna le vieux chat. Et de quelle couleur sont-ils ?
— Ils sont de la couleur du danger.
— C’est-à-dire ?
Mystik hésita.
— Je ne sais pas, admit-il. Je ne les ai jamais vus.
— Approche, mon fils. À son tour, Mystik s’approcha du bord de l’eau.
— Regarde-moi, dit Calife. Suis je digne d’être un bleu de Mésopotamie ?
— Bien sûr que tu l’es !
— Maintenant, regarde dans l’eau, dit Calife. Que vois-tu ?
Mystik contempla la surface immobile du Tigre. Il vit les étoiles qui scintillaient tout au fond. Il vit la lune qui se levait à l’est. Et il découvrit deux chats au pelage bleu argenté et aux yeux couleur d’ambre qui le regardaient tranquillement.
— C’est peut-être possible pour toi, mais je ne suis pas toi, Calife, et je ne peux pas faire ces choses. Je ne peux ni devenir invisible, ni parler avec les chiens.
— Que tu dis ! Si tu crois une chose impossible, répondit calmement son ancêtre, alors tu n’arriveras jamais à tes fins.
Mais si tu crois vraiment le contraire, alors tu seras capable d’accomplir n’importe quoi.
Il se sentait observé.
Il pivota sur lui-même pour faire face à l’entrée de la ruelle… et regretta immédiatement de l’avoir fait.
La nuit, dit-on, tous les chats sont gris. Dans ce cas, la chatte blanche qui le contemplait de son œil bleu aussi froid que la glace faisait exception à la règle.
À la place de l’autre œil ne demeurait plus qu’une orbite vide.
— Un chat, c’est l’idée de la liberté, enveloppée de chair, répondit-il d’un ton solennel. On ne peut le garder prisonnier. Pour être vraiment vivant, il doit être libre, et un chat en liberté pratique la chasse. Il ne se nourrit jamais des restes des hommes et ne dépend pas d’eux pour sa survie. Il ne compte que sur lui-même.
— Je ne sais pas, admit-il.
Calife s’arrêta de marcher et se campa fermement sur le sol.
— La Conscience, répondit-il. C’est le Deuxième Pouvoir. Pour survivre dans le monde, il faut avoir conscience de tout ce qui s’y trouve. Que tu cherches de la nourriture, que tu t’apprêtes à combattre un ennemi ou même… à parler à un chien, tu dois savoir à qui, ou à quoi, tu as affaire.
Ne présuppose rien. Ne t’appuie que sur des faits avérés. Tes sens doivent être ailes.
Observe le monde : regarde, écoute, goûte.
Oui, goûte le monde.