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Critique de Lamifranz


Quand j'ai connu Saint-Ex, j'avais une dizaine d'années, c'était donc en… (ne cherchez pas, vous n'étiez pas encore là), je me suis demandé quel était donc ce saint, entre saint Dominique et saint Fabien, qui n'était pas sur le calendrier. Plus tard quand j'ai su ce qu'il avait fait, quand j'ai lu ce qu'il avait écrit, quand j'ai réfléchi sur ce qu'il avait pensé, je me suis reposé la question. Eh bien non, quoique lui-même, par bravade, et aussi semble-t-il, par respect de l'état-civil, écrive son nom sans trait-d'union, Saint-Ex n'est pas un saint : car Saint-Ex est avant tout un homme : séducteur impénitent, fêtard invétéré, il était friand de tous les plaisirs charnels, même si aucun ne pouvait étancher sa soif d'absolu. Pas un prédateur sexuel, non, mais tombeur en série, ça oui. Mais une seule a réussi à l'amener devant l'autel, (l'hôtel aussi, mais c'était avant) et à prendre son nom : Consuelo, la rose, l'autrice de ces Mémoires.
Pour les familiers de Saint-Ex, il y a un mystère Consuelo. Pourquoi elle ? Comment cette femme divorcée, ultra-mondaine, passant pour écervelée, artiste plus ou moins ingérable, a-t-elle pu fusionner de corps et d'esprit avec Saint-Ex ? Ce sont les mystères de l'amour : quand on regarde la photo du mariage, deux réflexions nous viennent à l'esprit : c'est l'ours et la poupée, lui grand, costaud, un rien balourd, elle, petite frêle comme une poupée de porcelaine ; et puis aussi, seconde réflexion : la mariée était en noir. Etait-ce un signe ?
Consuelo n'a jamais été acceptée par le clan Saint-Exupéry (hormis Marie de Saint-Exupéry, la mère de l'auteur). Pourquoi ce rejet ? A qui la faute ? Ce sont deux univers différents : Consuelo, elle, est une artiste. Elle est vue comme « une petite personne fantasque et capricieuse », réduite à l'image de la femme-enfant, femme-objet, infidèle et coquette. Qualificatifs que, si l'on regarde bien on pourrait retourner à son mari : macho, infidèle (et pas qu'un peu) et infiniment charmeur.
Les « Mémoires de la rose » sont une série de documents retrouvés dans une malle. Cent ans après la naissance de Saint-Ex, vingt ans après la mort de Consuelo, c'est le légataire universel de cette dernière, José Martinez-Fructuoso, qui prend la décision de faire éditer ce manuscrit.
Ce récit, forcément à la première personne apporte un éclairage différent sur notre Tonio : sa soeur Simone nous en avait fait un portrait touchant, encore illuminé par les soleils de l'enfance, c'était le regard d'une soeur aimante. Consuelo aborde le sujet différemment : nous ne sommes plus dans la même catégorie : c'est le regard de l'épouse, puis de la veuve.
Un regard de femme. Femme adorée, adulée, et dans le même temps maltraitée et délaissée. La rose dit ses états d'âme. L'infinie attente, pendant les missions dangereuses, la joie des retrouvailles, les trahisons (des deux côtés) et les réconciliations, tout ceci fait une relation tumultueuse, entre deux êtres épris d'absolu, et bien conscients tous deux que l'autre, si merveilleux qu'il soit, ne peut combler cette attente, ne peut répondre à ce besoin.
On ne peut nier, je crois, le caractère profondément sincère de ces mémoires. L'amour qu'il y a eu entre ces deux êtres, cet amour fait de bruit et de fureur, intense, incandescent, absolu, a véritablement existé. En même temps, par l'image qu'il a donnée, il est devenu un amour de légende.
Un auteur est ce qu'il écrit. Il est aussi ce que ceux qui l'ont aimé écrivent sur lui. Simone et Consuelo ont chacune donné des clés sur Saint-Ex, non pas sur l'aviateur ou l'écrivain (sinon par ricochet) mais sur l'homme (et l'enfant qu'il est resté) : descendu de sa « sainteté » et rendu pleinement à sa dimension humaine, pleine de grandeur et de faiblesse, d'ombre et de lumière.
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