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Critique de NMTB


1718 est une année de rupture dans la Régence. le duc d'Orléans siffle la fin de la récréation. Il affermit son autorité, s'entoure de deux ou trois personnes de confiance et tout le système de Conseils mis en place au début de la Régence n'est plus qu'une façade à son gouvernement qui rencontre de plus en plus de difficultés politiques et économiques.
Le premier évènement important à retenir est celui du lit de justice de 1718. Face aux réticences du parlement pour enregistrer des lois sur les finances, le duc d'Orléans convoque dans le plus grand secret un lit de justice en plein mois d'août aux Tuileries pour exiger du parlement son obéissance et aussi pour écarter du pouvoir le duc du Maine (devenu une sorte de chef de l'opposition), en annulant de surcroît toutes les prétentions à la dignité de princes de sang que les enfants légitimés avaient obtenues de Louis XIV, et ce pour la plus grande joie de Saint-Simon.
Le récit de la journée du 26 août 1718 est un de ces morceaux de littérature saisissant qui récompensent le lecteur des nombreuses pages qu'il a dû avaler pour bien s'imprégner de la situation et des personnages. Sur la vingtaine de personnalités qui composait alors le Conseil de la Régence les trois-quarts n'étaient pas au courant de ce qui allait se passer, n'ayant appris la tenue du lit de justice que le matin même. Tout le monde se regardait en chien de faïence, Saint-Simon adopte aussi un point de vue d'observateur, à la différence que lui savait tout et avait participé à l'organisation, qu'il s'agissait pour lui de s'installer confortablement et de jouir de la déconfiture de ses adversaires. Avec le luxe de détails qui le caractérise il décrit minutieusement les petites scènes faites de conciliabules, d'entretiens privés, où tout se passe à voix basse, dans une ambiance pesante.
« Contenu de la sorte, attentif à dévorer l'air de tous, présent à tout et à moi-même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d'une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d'angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était d'une volupté que je n'ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour. Que les plaisirs des sens sont inférieurs à ceux de l'esprit, et qu'il est véritable que la proportion des maux est celle-là même des biens qui les finissent. » Il continu dans ce registre tout au long de la journée, sur un petit nuage.
Quelques semaines plus tard la conspiration de Cellamare est révélée et met un point final aux intrigues du duc du Maine et de sa femme. Mais à partir de ce moment, Saint-Simon avoue que ses Mémoires contiennent des lacunes car l'abbé Dubois revenu d'Angleterre avait mis la main sur toutes les affaires et ne laissait rien transpirer, il était devenu un ministre tout-puissant et inaccessible. Aussi, le duc de Saint-Simon décrit le Conseil de la Régence comme une usine à gaz qui s'enfle démesurément, avec de plus en plus de conseillers mais sans plus de réel pouvoir. le duc d'Orléans délivrant des grâces et des charges à tout bout de champ et la situation financière s'envenimant. Tout cela participant à l'effondrement du système de Law en 1720. Ce système comprenait deux parties : Une banque que Saint-Simon jugeait une bonne idée en soi mais difficilement applicable à la monarchie absolue française et des actions sur le Mississippi (c'est-à-dire sur l'installation d'une colonie en Amérique) qui connurent une spéculation excessive et provoquèrent la chute du système. Ceci dit, il répète plusieurs fois au cours de ses Mémoires qu'il ne comprenait pas grand-chose aux finances et que ça ne l'intéressait pas. C'est d'ailleurs l'une des raisons qu'il donnait sur son refus de diriger les finances comme lui avait proposé le duc d'Orléans au début de la Régence.
J'en profite pour m'arrêter sur un point qui me paraît problématique au sujet du duc de Saint-Simon, lui qui était si prompt à condamner Louis XIV pour avoir écarté du pouvoir les grands seigneurs et la noblesse d'épée. Très souvent il se présente comme quelqu'un d'absolument pas carriériste, très peu enclin à accepter des postes de pouvoir. C'était déjà le cas sous Louis XIV, lorsque celui-ci avait envisagé de le nommer ambassadeur à Rome, ou quand le duc de Beauvilliers avait envisagé de le faire précepteur du dauphin. de même, il avait tout fait pour que sa femme évite de devenir dame d'honneur de la duchesse de Berry. Encore plus sous la Régence, il a refusé plusieurs fois le poste de gouverneur du roi, qui était le meilleur moyen d'assurer son avenir. Il a donc aussi refusé de diriger les finances et enfin de devenir garde des sceaux. Les raisons qu'il donne à ses refus sont toujours excellentes, mais si toutes ces propositions d'emploi sont vraies (on est obligé de le croire sur parole), avec son obstination à les refuser, à hésiter de prendre des responsabilités ou à traîner des pieds, il a sabordé lui-même sa carrière.
En ce qui concerne les évènements géopolitiques et la guerre qui oppose l'Espagne aux autres puissances européennes. Elle est intéressante dans ses conséquences pour l'histoire de l'Italie mais ce que retient surtout le duc de Saint-Simon c'est la grande victoire diplomatique de l'Angleterre et l'aveuglement d'Alberoni et Dubois. Il n'est pas loin de les rendre responsables de l'hégémonie commerciale de l'Angleterre au XVIIIème siècle. Alberoni, qui avait réussi à reconstruire une flotte espagnole importante, avait surestimé ses forces ou alors il s'était trompé dans les alliances qu'il espérait conclure, en tout cas il n'avait aucune chance de gagner la guerre en 1719 contre l'Autriche, l'Angleterre, la France et les Provinces-Unies. Résultat : toute la flotte et les infrastructures portuaires de l'Espagne ont été détruites par l'Angleterre avec l'aide de la France, et l'Angleterre signe des accords commerciaux très avantageux lors des négociations de paix, leur laissant une voie royale pour se développer en Amérique.
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