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Critique de Ahoi242


Comparativement à la scandinave, à l'anglaise ou à l'américaine, la littérature japonaise de romans policiers reste relativement méconnue en France.

Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'auteurs dignes de lecture - on pense notamment à Edogawa Ranpo, Seicho Matsumoto, spécialiste du « Travel Mystery », ou plus récemment Soji Shimada et son Tokyo Zodiac Murders - mais peu d'entre eux ont été traduits en français - même si, grâce aux éditions Picquier, la proposition de livres traduits aux lecteurs français a été grandement améliorée.

Dans la collection Japon, Les Belles Lettres propose Meurtres sans série de Sakaguchi Ango.

L'intrigue est la suivante : à la suite d'un premier meurtre d'un écrivain à succès dans la maison d'un homme politique, une série de sept meurtres va être commise avant qu'un détective amateur ne confonde le meurtrier dans un final à la Hercule Poirot.

Bien que Sakaguchi ne soit pas un auteur de romans policiers - il s'agit ici de son seul roman policier -, Meurtres sans série a obtenu le prix du Club des auteurs de romans policiers. Cet unique roman policier de Sakaguchi est même considéré comme un classique du genre reprenant une grande partie des codes et règles en vigueur mais pour les détourner en une espèce de « farce policière »*.

Un des personnages du roman s'étonne que « Quelle farce ! Ben quoi ? Un meurtre, c'est bien une farce, non ? Cette maison, d'abord, c'est cette maison qui est une vaste farce ! Est-ce qu'on peut vraiment avoir l'air sérieux ici ? Je croyais que c'était un lupanar, mais tu parles ! C'est pire que ça ! » mais c'est bien Sakaguchi qui propose à ses lecteurs une farce policière comme. 

Dans le roman, on retrouve bien les principaux ingrédients d'un roman policier. Des meurtres - une série en fait ; une équipe d'enquêteurs professionnels aux surnoms étonnants - l'inspecteur « Soupçons » est entouré de « Le Pif », « Je-lis-trop » et « Eureka » - plutôt dépassés par la série de meurtres ; un enquêteur amateur - « Docteur » Kose, qui n'est pas « plus docteur qu'autre chose » et c'est parce qu'il est « nul comme romancier (qu'il comprend) si bien le crime » ; et un final à la Poirot.

Mais il s'agit aussi d'une farce comme le souligne Estelle Figon en se demandant entre autres « Pourquoi tous ces gens, suspectés mais pas inculpés, s'acharnent- ils à rester dans une maison, où ils ont toutes les chances de se faire tuer, sans sembler d'ailleurs particulièrement terrorisés ? », « Pourquoi passent-ils leur temps à boire et à échanger des considérations aigres sur la vie et sur l'art au lieu de chercher à fuir ? » ou « Pourquoi ne voit-on pas enquêter cette équipe de police composée d'inspecteurs aussi nombreux qu'incompétents, aux surnoms improbables, plus farfelus les uns que les autres et incapables d'empêcher le moindre crime ? ».

Indéniablement, Sakaguchi joue avec ses différents types de lecteurs. Initialement, le roman avait été publié sous la forme d'un feuilleton et un concours avait été organisé afin de découvrir le meurtrier. Dans cette édition, les notes d'accompagnement de Sakaguchi lors de chaque livraison sont reproduites - ainsi que les résultats détaillés du concours - et, dans celles-ci, Sakaguchi interpelle les lecteurs ayant envoyés des réponses - y compris « Je-lis-trop », « Le Pif » et « Eurêka » !!! -, commente leurs propositions et invite même certains de ses confrères à envoyer leur proposition de résolution de la série criminelle. Par ailleurs, Sakaguchi place ici et là dans son roman des réflexions sur le monde littéraire - ces réflexions passent très bien dans la mesure où les principaux protagonistes du roman sont des écrivains ; lui-même est d'ailleurs cité dans le roman - et également sur le roman policier en distillant ses préférences en termes de romans policiers - « les Anglaises, comme Christie » plutôt que « Van Dine** ou Queen (qui) sont inutilement pédants » - et glissant ses commentaires sur le roman policier.

Bien que farce policière - ce qui rend relativement paradoxal le statut de classique du genre de ce roman -, Meurtres sans série constitue une excellente lecture. Il est simplement dommage qu'il ne s'agisse pas d'une série mais d'une incursion sans série dans le genre policier.

* À la fin du livre, on trouve une postface de la traductrice Estelle Figon intitulée « Ango et la farce policière » ainsi que des repères biographiques et une bibliographie.   

** Auteur de romans policiers, S.S. van Dine sera un des premiers à codifier le genre en publiant dans American Magazine « Les vingt règles du roman policier » en 1928. Lui-même ne les respectera pas (toutes) dans ses propres romans policiers.
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