"Les mythes nous abusent." (p. 190)
Johan Bruyneel, le célèbre directeur sportif, complice d’Armstrong tout au long de sa carrière, a raconté une anecdote qui en dit long : « Notre équipe était au départ du Tour d’Espagne 2011 dans le même hôtel que la Sky, à Benidorm. Au bar, j’ai discuté transferts avec Brailsford, le manager. On fait notre marché. Un de ses coureurs, Cummings, m’intéressait. Il m’a proposé Froome qui était engagé sur cette Vuelta pour être domestique au service de Wiggins. Il voulait s’en débarrasser. Pas cher (80 000 £ / an), un bon potentiel, mais peu de résultats. Ça ne m’intéressait pas. »
Amateur est un mot galvaudé. Dès les rangs des cadets, à quinze ans, un môme peut ramener de l’argent à la maison. En cyclisme, contrairement à bien d’autres sports, il existe chez les amateurs des grilles de prix pour les dix ou vingt-cinq premiers de chaque course, selon leur importance, auxquelles il faut ajouter des primes pendant la course, que le speaker annonce sur la ligne en vociférant quand c’est une épreuve en circuit autour d’un clocher de village, tous les x tours. Sans compter les primes de victoire, ou de podium, ou kilométriques, que ton club peut te verser. Certains clubs te donnent aussi des indemnités mensuelles, des salaires déguisés. Tu te frottes donc déjà à une forme de professionnalisme de la combine, parce que des mecs passent leur vie à écumer des courses pour gagner leur pain quotidien. Ce sont souvent d’anciens pros qui n’ont pas réussi et qui sont redescendus dans la catégorie amateurs. Les deux mondes peuvent entrer en symbiose, voire en osmose. Tu peux te préparer au métier, à cause de l’argent généré, avec des ententes illicites, expression officielle.
Nous, on dit mafia. Pour la fraude technologique (les moteurs), nous, on dit dopage mécanique. Pour un Froome, on dit un mutant. Appelons un chat, un chat. Les chiens ne font pas des chats, on l’a dit.
Personne, pas même au sein de l’équipe Sky censée avoir révolutionné le vélo, ne voulait de Froome. Pourtant, il se paie le luxe de battre Cobo le fou, quinze jours après avoir failli être bradé, dans un duel d’anthologie sur le col final de l’étape qui mène à Pena Cabarga, en développant 470 watts étalons pendant dix-sept minutes ! Il mute. Pas la peine d’être un expert pour comprendre. Il suffit de regarder la vidéo sur YouTube.