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Critique de JulienDjeuks


Aux habitudes parodiques de l'écrivain, à son profil épicurien anti-religion, les commentateurs ont longtemps voulu voir dans cette petite oeuvre une caricature grossière, plutôt qu'un reportage sérieux sur un célèbre oracle des derniers siècles pré-chrétiens. Lucien s'est rendu sur place et s'est activement renseigné sur l'homme qu'il a rencontré, sur ses collaborateurs, ses clients, sur le fonctionnement de l'oracle. Si le ton satiriste est bien présent, la profusion de détails ne relève pas de l'extrapolation mais bien de l'enquête. L'oracle antique ne se limite pas à un essai plus ou moins vague de « divination » (tel que rendu célèbre par le mythe d'Oedipe). Les demandeurs viennent chercher conseil pour de multiples problèmes (périple, épreuve, dilemme, mal d'amour, maladie…), et dans un contexte polythéiste, ils cherchent surtout à comprendre à quel dieu s'adresser, comment, quelles actions et offrandes pour s'attirer la réussite, les démons favorables... La description que fait Lucien du fonctionnement de cet oracle (le prophète reçoit la confidence d'un demandeur et apporte une réponse adaptée) montre que ceux-ci n'agissent pas différemment des confesseurs chrétiens, des psychanalystes et des coaches modernes (des marabouts aussi). Si cet Alexandre agit en escroc fini, Lucien laisse entendre que d'autres peuvent être de bon conseil.

Mais le prophète acquiert un pouvoir sur les personnes qui font appel à lui, de par les secrets qu'ils lui livrent (d'autant plus avec sa célébrité). Connaissant leurs faiblesses, leurs ambitions, leurs déplacements, il peut les manipuler à sa guise. L'oracle d'Abonotique apparaît ainsi comme une secte et le « petit » Alexandre a tout d'un Charles Manson : enfance criminelle, prostitution, charisme, intelligence sociale, protection de personnalités importantes, culte du secret, fan club hystérique obéissant aveuglément, service sexuel des adeptes et femmes d'adeptes, diffamation de toute voix contradictoire, chantage, crimes par procuration, mégalomanie (il fait rebaptiser la ville et frapper monnaie à son effigie)… Pour un épicurien dénonçant partout les piège des superstitions, il est évident que tout oracle comme toute institution religieuse est une supercherie qui permet de détenir un pouvoir sur la population, d'acquérir ainsi des privilèges. Un tel portrait de charlatan peut-il être représentatif des autres oracles et cultes à mystère qui étaient à la mode dans l'antiquité (Delphes, Eleusis, Mithra…) ? Ainsi, Alexandre ne serait pas un "faux prophète" mais simplement un prophète comme un autre, comme le Tartuffe première version de Molière qui n'était initialement pas un "imposteur" ou faux dévot, mais un "hypocrite", c'est-à-dire le dévot par excellence, dont l'attitude religieuse ne sert qu'à acquérir un pouvoir pour manipuler, s'enrichir et assouvir ses vices...

Ce que dénonce le plus violemment Lucien, c'est l'usage de tout le décorum, les effets spéciaux qui trompent sur le réel pouvoir de simples hommes à capter le divin. Les dieux, si dieux il y a, sont pour les épicuriens loin de l'homme, insaisissables, indifférents à nos actions. Dans une civilisation qui fait reposer l'autorité du pouvoir, sa légitimité, sur le sacré du religieux, on peut comprendre que de telles entreprises, quel que soit leur degré de malversation, aient eu l'épicurisme comme ennemi mortel… Et que, à l'image d'Alexandre le charlatan, ils aient partout cherché à éliminer un courant de penser si dénonciateur du sacré. On pourrait faire le lien ici avec la pensée d'Illich sur les institutions (cf. La Convivialité) : tendant à rendre sacrées et donc intouchables, indiscutables certaines choses, elles laissent un espace pour l'abus de pouvoir, l'arnaque, la manipulation...
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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