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Critique de motspourmots


Il y a des lectures qui vous enrichissent ; découvrir que ce récit, qui mérite tous les superlatifs qui ont accompagné son existence depuis sa parution en 2017 a rencontré un bien plus large public que l'auteur lui-même n'aurait pu le prévoir, voilà qui allume une étincelle de contentement et d'espoir. Il y a des lectures qui vous enrichissent, que vous trouvez immédiatement nécessaires, salutaires. Retour à Lemberg est de ces livres que je voudrais que tout le monde lise. Je l'avais repéré depuis longtemps, mais c'est la lecture en début d'année du très beau récit d'Esther Safran Foer Sachez que nous sommes toujours là qui m'a soudain imposé de passer à l'acte. Les mêmes lieux, forcément. Cette région de Galicie au coeur des atrocités nazies. Et cette ville de Lviv, Lvov, Lwow, Lemberg qui a changé huit fois de nationalité après la première guerre mondiale ; revenue sous les feux des projecteurs sous les récentes bombes russes.

Philippe Sands est juriste et le droit est en quelque sorte le héros de ce récit. Particulièrement à travers deux hommes, dont personnellement je n'avais jamais entendu parler et qui pourtant sont à l'origine des deux concepts qui ont permis d'étayer les actes d'accusation lors du procès de Nuremberg puis de nourrir plus tard la création du Tribunal Pénal International : crimes contre l'humanité et génocide. Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin étaient originaires de Lemberg/Lwow, ils se sont sûrement croisés sans se connaître lorsqu'ils y étudiaient le droit avant que les événements ne les amènent à quitter leur pays. Rien que le récit de leurs parcours respectifs est passionnant, on n'imagine pas ce qu'il leur a fallu d'obstination pour vaincre les réticences (comme celles des américains face à un concept qui interrogerait leur propre comportement envers les populations autochtones). Dans les rues de cette ville, un autre juriste fut à l'oeuvre : Hans Franck, ancien avocat d'Hitler devenu gouverneur de Pologne ; lui tenait plutôt pour la souveraineté des nations - on le comprend bien - tandis que toute la pensée de Lemkin et Lauterpacht était tournée vers la nécessité de protéger l'individu ou les groupes d'individus des abus d'autorité des gouvernements. le carrefour qui présidera à la rencontre de ces trois hommes sera donc Nuremberg. Pour Philippe Sands, l'enquête s'enrichit d'une quête personnelle, celle de l'histoire de sa propre famille puisque son grand-père, Léon Buchholtz a passé son enfance dans cette même ville et a fui suffisamment tôt pour échapper lui-même à l'Holocauste qui a rayé sa famille de la carte. Des trous restent à combler comme c'est souvent le cas lorsque les familles parlent peu. Lauterpacht et Lemkin n'ont eux-même appris ce qui était arrivé aux leurs que lors du procès de Nuremberg. Remplir les trous c'est combattre l'oubli et l'effacement, c'est empêcher le mal de gagner.

Ce livre est passionnant de bout en bout. Limpide dans les explications liées au droit qui permettent d'éclairer à la fois ce qui s'est joué à l'époque mais aussi ce qui est à l'oeuvre de nos jours en croisant notamment les notions de nationalisme et ce que cela implique en termes de droits des individus. Un point crucial, peu souvent envisagé dans les grands discours. Intéressant dans la mise en parallèle et en opposition des deux points de vue de Lauterpacht et Lemkin. Passionnant dans sa reconstitution des moments clé du procès. Et dans son éclairage sur l'importance vitale du point-virgule. Mais ce livre ne se contente pas d'explorer le passé et de combler les trous. Il jette des ponts avec l'actualité. La rencontre de l'auteur avec le fils de Hans Franck - qui a condamné les actes de son père dans un livre qui a fait scandale à l'époque où la tendance était plutôt de cacher la saleté sous le tapis - et la prise en compte des idées nauséabondes toujours en cours (incroyable scène de commémoration de la création de la division Galicie des Waffen SS...) lancent un avertissement en direction de ceux qui penseraient que les jalons posés dans le droit international seraient inamovibles. A ce titre, la postface écrite par l'auteur est tout aussi importante que les 600 pages du récit.

Enfin, il faut remercier Philippe Sands d'avoir réussi à produire un texte aussi important qui se lit comme un roman, parfois comme un polar sans jamais rien renier du fond ni de la qualité du propos à la fois clair et parfaitement étayé. Il prend de la hauteur tout en mettant les hommes au coeur de ce récit palpitant et instructif. Un livre magistral.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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