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Critique de kanijoal


Au bout du tunnel, la lumière.
Échec, et Mat de Galien Sarde

Très loin, au-delà du canyon, pulse l'océan. Il suffirait pour y plonger d'arriver au bout de la route.
Le point de départ est la Cité, réprimée sans fin par la Milice. Pour y échapper, il faut échapper au mythe entretenu par ses dirigeants : moyennant soumission aveugle et restrictions consenties, elle serait, sur une planète brûlante et dévastée, l'unique système et l'ultime refuge des survivants d'une guerre apocalyptique.
Pour concevoir qu'ailleurs, l'eau abonde encore, que d'autres sociétés, libres et ouvertes, ont survécu, le narrateur doit d'abord descendre aux enfers, dans le labyrinthe des sous-sols où grouillent les opposants : trafiquants, poètes, joueurs, buveurs d'espoir, rêveurs sous acide. Il est guidé par Mat qui a entrepris de le sauver et qui, contrairement à lui, semble évoluer, là comme partout, dans son milieu naturel. Après cette descente initiatique, c'est sans Eurydice, puissance sacrificielle à peine entrevue, mais toujours rivé à Mat, qu'il connaîtra la grâce de l'évasion dans un monde désertique, incandescent, où s'accrochent malgré tout de robustes traces de vie animale et végétale, un monde où les miracles sont possibles – appelons-les Phèdre, Doris – jusqu'à cet échec qui plane, tel un condor, du titre au point final.
Galien Sarde assemble tous les éléments d'une dystopie classique avec un sens aiguisé de la narration, éclatée en flash-backs alternant l'horizontalité flamboyante de la cavale avec la verticalité obscure de la planque. Mais bien sûr, comme le vrai dans la Cité, le vrai du récit est hors les murs, enfoui ou projeté. « L'effroi confine à la joie, à la splendeur… les deux se touchent et communiquent, franchement indissolubles. »
Il y a d'abord Mat, sauveur surgi de l'incendie, robuste, rassurant, tutélaire. Pourquoi Mat a-t-il étendu sa main protectrice sur ce narrateur fragile et désemparé, pourquoi l'entraîne-t-il, lui, dans sa quête éperdue de liberté ? Mystère : le salut est toujours aléatoire. Mat est le guide. le meneur. Il détient la carte, s'accroche au volant, ne s'endort épuisé à même le sol que pour s'éveiller régénéré, tel un géant mythologique. Pourtant son élan, comme celui de ses passagers, se brise net dans le canyon. En dystopie, le sauveur lui-même est aléatoire.
Ensuite, il y a l'eau : celle, accaparée par les puissants, qui fait l'objet de restrictions drastiques, celle qu'ils stockent, qu'on leur arrache, qu'on économise ou qu'on boit avidement et enfin celle, généreuse, où l'on plonge dans la vie.
Lové au creux d'un Eden pétrifié, un lac accueille les fugitifs dans ses eaux lustrales, tendrement matricielles, baptême de fraîcheur avant l'ultime étape. Enfin, à l'autre bout du canyon roule le flot salé, le sérum originel. Moins heureux qu'Icare, le narrateur l'entrevoit dans sa chute, mais retombe durement sans pouvoir s'y diluer. Inaccessible, il ne sera pour lui qu'une vibration lumineuse, le « voile bleu-vert immense de l'océan ».
Galien Sarde décrit, construit son univers comme on peint un tableau, ligne d'horizon, lignes de fuite, grands aplats de couleurs qui évoquent parfois Nicolas de Staël. Entre les eaux amniotiques du lac et l'océan aérien s'étire le canyon, concentré d'existence. La vision finale du narrateur évoque irrésistiblement une EMI, une expérience de mort imminente, telle qu'on la rapporte en Occident – car, on le sait, les visions diffèrent en fonction des cultures : un long tunnel, ouvert au loin sur un infini éblouissant.
Mat a-t-il vraiment failli ? le sauveur n'était-il qu'un imposteur conduisant ses disciples à leur perte ? Ou savait-il que la trajectoire, celle qui tend toujours vers le but qu'elle n'atteint jamais, se suffit à elle-même, et que l'océan n'est en vérité qu'un ultime mirage de chaleur ?
La réponse est au bout du canyon.








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