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Critique de christianebrody


Je te dis, la chose ça m'a embrouillé en pagaille. Comment tu vas combattre l'homme, tuer lui, et puis la personne va revenir encore? Si tu tues lui vingt fois, il va revenir vingt un fois. Si tu coupes son bras, son bras va sortir encore demain. Au nom de Dieu. Mais n'importe comment, nous on était là se battre et se battre. Avec fusil, sans fusil. Comme j'ai dit avant, de fois y a pas nourriture, de fois y a pas eau. Même tu dois uriner mettre dans bouteille pour de l'eau, et après un peu tu vas boire urine-là parce que y a pas de l' eau. Tufia! Ce que l'enfant de l'homme n'a pas vu, c'est Dieu qui connaît seulement »

Méné, jeune apprenti chauffeur, vit à Doukana loin du tumulte de Lagos. Petit village de pêcheurs et de planteurs, dépourvu d'infrastructures modernes, la vie s'écoule paisiblement. le quotidien se résume en réunions sur la place du village, des rassemblements décrétés par le chef Birani, un homme veule, corrompu, vivant du racket qu'il impose aux villageois. Les prêches alarmistes sur l'imminence de la fin du monde du pasteur Barika, un homme sans foi ni loi, inquiètent ces âmes simples et naïves. Gravitent autour de Méné, les anciens: Douzia » l‘infrime », Bom , Kolé un vieil homme discret, riche qui entretient ses deux amis, un homme dont le savoir et la mémoire sont respectés par tous. Il y a aussi Zaza, ancien « minitaire » auréolé de gloire qui, en son temps, a combattu Hitla; sa maman, une femme de caractère qui a pu lui payer ses études jusqu'au cours moyen puis son apprentissage et enfin, Agnès « sa jolie femme aux ampoules 100 watts » qui rêve d'un homme fort pour la protéger et quel meilleur moyen d'y parvenir, pour tous ces laissés- pour-compte, que de s'engager dans l'armée. Les rumeurs d'une guerre n'atteignent pas encore Doukana toute à sa joie de fêter une nouvelle ère « parce que ancien gouvernement a tombé et nouveau gouvernement de minitaires avec policiers a monté. Tout le monde disait que tout va aller bien à Doukana à cause de nouveau gouvernement-là. » Des nouvelles sur une exode citadine leur parviennent mais c'est l'augmentation du prix du sel et l'arrivée de camions de minitaires qui mettent le feu aux poudres. Dépassé par les évènements, songeant qu'aux retombées miraculeuses d'une telle opportunité, et contre l'avis de sa mère, Méné s'engage pour deux raisons: » Tout temps, tout temps, j'ėtais là penser sur ces deux choses-là. Premier: Zaza. Ce vaurien-là, tabataba-là qui est là promener dans Doukana faire grand bouche parce que il a fait guerre contre Hitla et qui est là insulter les jeunes comme moi-même que nous devons partir combattre. Deuxième: Agnès. Jolie fille. Très jolie fille quoi. Elle aime garçon fort qui va défendre lui si malheur vient. Bon d'accord. Je vais montrer Zaza que je suis pas wia wia comme lui. Je vais montrer Agnès-là que je suis pas un homme qui a peur. Je peux la défendre n'importe quand. Ah oui, je vais lui montrer bien bon. »

Méné, enfant-soldat, connaîtra l'enfer de la guerre sans jamais savoir exactement pour qui, pourquoi il se bat. Naïf, subtile dans ses raisonnements malgré la pauvreté de son éducation, un rêveur optimiste toujours prêt à aider son prochain, attaché aux valeurs familiales et sociales, il verra son monde volé en éclats, impuissant. L'absurdité de cette guerre qui oblige un peuple à s'entre-tuer afin qu'une poignée de gens puisse assouvir leur soif inextinguible du pouvoir et s'emparer des richesses du pays, lui ôtera tout; sa famille, son village, jusqu'à lui-même. Pendant deux ans, il voyagera au pays de la corruption, de la lâcheté morale, de la cupidité, de la mesquinerie, de la cruauté. La mort, la peur, l'humiliation, la torture, notions nouvelles pour cet ingénu dont le seul désir était d'aspirer à une meilleure existence lui révèleront la part monstrueuse qui sommeille en nous et dont la guerre est si friande. La faim, la soif, l'humidité, la prison, le manque de sommeil, la délation seront ses compagnons pendant le conflit. Désarmé devant l'horreur qui se joue devant lui, il assiste à la débâcle morale de son pays, au carnage que la violence laisse derrière elle, à l'hypocrisie doublée d'une incroyable inefficacité des organismes humanitaires. Victime innocente d'un combat dont les raisons lui échapperont toujours, aujourd'hui orphelin, le voici otage de croyances ancestrales. Apatride, fuyant la vindicte des villageois, il revient sur son odyssée: « Et j'étais là penser la façon je faisais mon malin avant de partir pour faire minitaire et prendre nom Pétit Minitaire. Mais maintenant si n'importe qui parle n'importe quoi sur affaire de guerre ou même de combat, je vais seulement courir, courir, courir,courir et courir. Crois-moi amicalement. »

Ecrit dans une langue hachée, « pourrie », SOZABOY parle aux noms de tous les enfants-soldats qu'ils soient d'Afrique, d'Asie ou d'ailleurs. Il rend compte avec acuité et fougue les destins de ces pauvres gens embringués dans la course folle du monde, une descente aux enfers qui les laissera toujours du mauvais côté de la barrière. C'est surtout la langue de Ken Saro-Wiwa, violente, passionnée et chaleureuse qui transporte le lecteur. Beaucoup s'y sont cassés les dents car elle est déroutante: grammaire hésitante, pauvreté du vocabulaire, conjugaison réduite à la simplicité. Patience et efforts récompenseront les plus têtus d'entre vous, c'est un livre superbe, envoutant et généreux. Ne pas passer à côté de l'introduction de William Boyd et des notes de l'auteur et des traducteurs qui ont dû s'arracher les cheveux pour restituer l'âme. A lire absolument pour la beauté du texte et pour tous les Méné du monde. Magistrale point-barre.
Lien : http://www.immobiletrips.com..
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