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Critique de Meps


Comme souvent avec moi, les évènements qui aboutissent à la lecture d'un livre sont multiples. Il y a d'abord forcément eu l'annonce que le Prix Goncourt 2021 était attribué à Mohamed Mbougar Sarr. Je ne guette pas avec impatience l'annonce des prix de la rentrée, mais en amoureux des livres, je ne peux être longtemps tenu à l'écart de l'information. J'avais aussi entendu que le Prix faisait partie de ceux qui avaient divisé les lecteurs. Pas suffisant pour me faire me précipiter chez le libraire, mais assez pour inscrire le nom du livre dans ma mémoire.

Autre circonstance beaucoup plus fortuite, mon épouse passe dans une friperie, un tas de livres abandonné et un peu abimés, la vendeuse lui dit qu'ils vont les jeter, elle peut les prendre si ça l'intéresse. Elle prend le tout, trois ou quatre livres et dedans évidemment La plus secrète mémoire des hommes, comme rongé à un coin par des souris, égratigné comme il le fut par certaines critiques.

Les circonstances m'obligeaient donc à prévoir une lecture prochaine et une inscription en livre A lire... et MaggyM en profitait pour me le choisir en lecture de challenge, la boucle était bouclée, le chemin du livre vers moi s'était tracé.

Je commençais donc la lecture et rapidement, l'enchantement. Un livre sur la littérature et les écrivains, recette facile mais diablement efficace pour intéresser les lecteurs. Un style varié, fait de très beaux morceaux de littérature, de passages parfois bien plus rentre-dedans, un auteur qui ne recule pas non plus devant la description des scènes de sexe, tout en finesse et sensualité.... L'évocation de nombreux noms d'auteurs africains me donne envie d'aller rapidement vérifier si ils sont totalement inventés ou plus directement inspirés d'auteurs réels... et sous un article consacré au livre, je tombe sur un commentaire, plussoyé par un autre lecteur, qui évoque "un auteur qui coche toutes les cases (Africain, musulman, anticolonialiste crachant sur la France), N'y a-t-il plus d'auteurs en France ?"... Je reste sidéré, me dit que c'est forcément quelqu'un qui n'a pas lu le livre, mais retrouve plusieurs commentaires du même genre un peu partout... Je revérifie la liste des Goncourt pour m'assurer que je vis bien dans le même monde que ces gens... Je suis rassuré, 4 auteurs que ces gens qualifieraient d'"étrangers" depuis 2000, les auteurs français cochent encore plus de cases, rassurez-vous messieurs...

La découverte de cette mouvance de lecteurs me fait comprendre une partie de la polémique du livre que je n'avais pas vraiment imaginé, comme quoi nous ne vivons en effet pas dans le même monde. En vérifiant sur Babelio, je me rassure un peu en voyant que les mauvaises critiques pointent des défauts plus littéraires selon eux.

Cela guide malgré moi ma lecture et je me confirme au fil des pages que le récit n'est aucunement anticolonialiste... mais qu'il vient bien sûr interroger l'influence de la colonisation et des apports culturels européens sur les auteurs africains. L'auteur ouvre le livre en évoquant la difficulté pour les auteurs africains d'être vraiment acceptés par la critique occidentale et surtout par ce qui est attendu d'eux ou ce qu'on critique particulièrement chez eux. Et j'ai trouvé amusant le fait qu'il semble tout le long du texte distiller ces attendus : les récits « exotiques » remplis de magie rituelle ; les mots extrêmement savants dont certains auteurs d'Afrique parsèment leurs romans, comme s'il fallait démontrer qu'on écrit mieux qu'un Français… Mais il y imprime aussi et surtout sa patte et démontre qu'il est un écrivain à part entière, loin des stéréotypes.

Et pour revenir à Babelio, c'est cette patte qui me semble avoir été mal comprise. Certains critiquent une certaine complexité dans le style, une difficulté à se retrouver dans les narrateurs qui brouillent les repères et perd le lecteur. Je conseille à ces lecteurs de ne jamais s'attaquer à Faulkner et de ne même pas approcher Joyce, de peur qu'ils leur donnent une note négative en étoiles… J'ai personnellement apprécié le choix des récits dans le récit, de ces narrateurs qui nous narrent ce que quelqu'un avait raconté à quelqu'un d'autre qu'il leur a ensuite retranscrit , comme une métaphore du rôle de passeur que remplit la littérature avec ses messages qui traversent les siècles en passant entre les mains des auteurs, les yeux des lecteurs et les bouches des critiques.

Parce que, au-delà d'une enquête à la recherche d'un auteur maudit à travers trois continents, au-delà d'un récit où l'on peut voir des auteurs africains exprimer des positions très variées et pas du tout stéréotypées sur les apports ou les erreurs de l'Occident envers leur continent, c'est surtout une vraie ode à la littérature que ce roman, parce que comme le dit si bien l'auteur, puisque « aucune blessure n'est unique », puisque tout « devient affreusement commun », la littérature est certes dans une « impasse » mais que c'est bien dans celle-ci qu'elle a « une chance de naître ». Pour ces mots, pour cette plongée avec son lecteur dans ce qui fait l'essence de l'humanité, Mohammed Mbougar Sarr coche toutes les cases de ce qui fait pour moi un lauréat mérité du Goncourt, en effet.
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