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Critique de Musa_aka_Cthulie


Première pièce que j'ai lue de Nathalie Sarraute, mais aussi sa dernière variation pour le théâtre sur les tropismes, et la plus réussie à mes yeux.

Deux hommes, amis de longue date. L'un, H.1, l'air plutôt sûr de lui, aimerait comprendre pourquoi l'autre, H.2, l'air plus réservé, s'est éloigné de lui. H.2 nie d'abord toute tentative de mise à distance, pour finalement l'admettre ; c'est que poser des mots sur le sentiment de malaise qui a provoqué cet éloignement, c'est justement ce que H.2 ne veut pas faire. Il a déjà essayé, avec d'autres, et l'échec a toujours été patent. D'ailleurs, il en est ressorti avec la réputation de rompre avec autrui pour un oui ou pour un non. Pourtant, peu à peu, il va être poussé dans ses retranchements et se forcer à tenter d'expliquer à H.1 ce qu'une simple phrase, ou plutôt une simple intonation, a provoqué en lui. Et va surgir au cours de leur dialogue tout un maelström de sentiments et de différends jusque-là sagement enfouis.

On tient ici tout ce qu'on trouvait déjà dans le théâtre de Nathalie Sarraute, dans un tour de force qui la mène à se confronter une dernière fois à ce paradoxe qui consiste à faire dire sur scène ce qui, justement, relève pour elle de l'indicible. le tropisme, c'est donc cette petite chose, ce "rien" (pour reprendre le terme utilisé dans une pièce précédente, Isma ou ce qui s'appelle rien) sur lequel il est tellement difficile de mettre le doigt mais qui ne laisse jamais tranquille et cause des dégâts.

Il y a bien sûr quelque chose de la thérapie par la parole dans cette pièce, encore davantage que dans les précédentes, puisque seuls deux personnages se font face, H.1 poussant sans cesse H.2 à dire les choses jusqu'à ce qu'il obtienne satisfaction. Quoique "satisfaction" ne soit pas vraiment le mot approprié...

Sarraute fait resurgir tous les non-dits entre ses personnages, mais aussi tous les fantômes qui hantent son oeuvre. Ce n'est pas seulement que les deux amis (mais sont-il seulement amis?) se confrontent, se découvrent une animosité l'un envers l'autre qu'ils n'avaient pas soupçonnée pendant des années. C'est une thématique plus complexe qui est abordée là : le refoulé, le dialogue impossible, puis les cases (dont celle de la folie, du délire) dans lesquelles les gens "normaux", "respectables", ont vite fait de ranger ceux qu'ils ne comprennent pas, ceux qui ne se conduisent pas comme eux. Et on en vient à la notion factice de bonheur, à l'étalage de cette fabrication artificielle par une partie de la société devant une autre, et finalement à deux visions du monde antithétiques et représentées respectivement par H.1 et H.2. On en vient à un conflit sans résolution possible.

C'est donc une pièce particulièrement riche, bien que très courte, une pièce très dense, subtile, qui renvoie à tout un réseau de motifs sarrautiens, mais aussi à tout un chacun : comme le dit H.2, ces petites choses qui nous taraudent mais dont on ne parle pas, dont on ne veut pas entendre parler par souci de confort, de normalité, sature la société entière : amis, famille, et ainsi de suite.

On comprend donc facilement ce que Yasmina Reza, qui est loin d'être idiote, peut trouver chez Nathalie Sarraute, notamment dans cette pièce. Mais il est fort dommage que son hommage à Sarraute avec Art ait tellement appauvri son modèle. (Ça, c'était pour boucler la boucle et rendre définitivement à César ce qui lui appartient...)



Challenge Théâtre 2020
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