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Critique de Fleitour


En lisant Les Mots de Jean-Paul Sartre, je me heurte à un labyrinthe, dans lequel je me sens très mal à l'aise, Sartre cherche t-il à me perdre, ou lui à se cacher, je relèverai page 193, cet aveux :" je devins traître et je le suis resté. Je me renierai, je le sais, je le veux et je me trahis déjà."


"Les Mots" de ce récit autobiographique publié en 1964, révèle une sorte de psychothérapie, comme si le moment était enfin venu de se libérer de son passé, et de tirer un trait sur sa vie dans le milieu bourgeois qui fut le sien tout au long de son enfance.

Quand il écrit ce texte, est-il un comédien, comme il le fut parfois enfant ?
Est-il le lecteur lucide de son apprentissage de la vie, et de son adolescence ?
Ses propos restent ambigus :" je menais deux vies, toutes deux mensongères publiquement j'étais un imposteur", ou encore, page 100, il ajoute "ma vérité,  risquait fort de rester jusqu'au bout l'alternance de mes mensonges."


Pour échapper à ce labyrinthe ou tenter d' échapper à une impasse, comme à des manipulations du langage, je me suis posé des questions simples et j'y répond en puisant dans ses propres "Mots".

Une enfance confisquée.

Vous ne trouverez pas de madeleines dans Les Mots de Sartre, mais des livres, devenus des pierres levées.
Il est amer quand il écrit page 79; "on ne cesse pas de m'entourer.
C'est la trame de ma vie, l'étoffe de mes plaisirs, la chair de mes pensées."
Alors, l'enfant devient à son tour comédien, et joue à être sage
Ça démystifie l'attendrissement dont beaucoup entoure cette époque de la vie en affirmant : "j'étais un enfant ce monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets".


Il n'y a pas de place pour les copains, pour le jeu, pour apprendre à nager, pour apprendre à pédaler, à lancer le ballon, à déguster une glace, à connaître la soif ou la neige et le froid, un seul sens est activé, la vision pour la lecture.
Dans ce monde d'adulte Jean-Paul n'est pas un enfant et ne l'a jamais été. Dix ans entre un vieil homme et une très jeune femme ( sa mère), et 50 ans pour enfin nommer son horreur de l'enfance .


L'Homme désincarné, Homme sans Terre

Sartre évoque avec une ironie impitoyable, sans rancœur, ce qui a fait de lui un enfant truqué. C'est Sartre lui-même qui parle du corps page 67, "il ne me déplaisait pas d'avoir un léger dégoût à surmonter, quand elles me prenaient dans leurs bras."

Il poursuit ainsi : "il y avait des joies simples, triviales : courir, sauter, manger des gâteaux, embrasser la peau douce et parfumée de ma mère ; mais j'attachais plus de prix au plaisir studieux et mêlés que j'éprouvais dans la compagnie des hommes mûrs."


« Quand Monsieur Barrault se penchait sur moi, son souffle m'affligeait des gènes exquises, je respirais avec zèle l'odeur ingrate de ses vertus. »
Jean-Paul Sartre est mal à l'aise avec son corps, il devrait prendre plaisir à gambader dans la nature, sans même parler du plaisir de la pêche, de sillonner la campagne au printemps ;
au contraire il affirme " je confondais mon corps et son malaise, p 75 " 


Tout ce que Jean-Paul Sartre connaît depuis le plus petit insecte, il l'a appris avec les livres, ses pierres levées, sans ambiguïté il raconte page 44, " c'est dans les livres que j'ai rencontré l'univers, ; classé, assimilé, étiqueté, pensé... "
C'est un enfant sans attaches terriennes, qui se sent et se dit déraciné.
On est moins surpris quand il avoue, je pourrais écrire les yeux fermés. Son instrument essentiel pour être présent, vivant, dans sa chair au monde, d'un trait, il dit pouvoir s'en passer.
"Puisque c'est mon lot, à moi, en un certain lieu de la terre et de m'y sentir superflu. p 77", et plus cruel encore il affirme, "J'étais rien : une transparence ineffaçable.p 76"


Le prophète, et la littérature en tant que sacré.

On peine à trouver des références claires, aux notions de morale. Par contre sa vocation il la décrit simplement : " le hasard m'avait fait homme, la générosité me ferait livre page 158. "

Page 158, il poursuit : " apparaître au Saint Esprit comme un précipité du langage, devenir une obsession pour l'espèce, être autre enfin, autre que moi, autre que les autres, autres que tout.
Je n'écrirais pas pour le plaisir d'écrire mais pour tailler ce corps de gloire dans les mots."


"À la considérer du haut de ma tombe, ma naissance m'apparut comme un mal nécessaire, comme une incarnation tout à fait provisoire, qui préparait ma transfiguration : pour renaître il fallait crier, pour écrire il fallait un cerveau, des yeux des bras, le travail terminé ces organes se résorberaient d'eux mêmes : aux environs de 1955 une larve éclaterait 25 papillons s'en échapperaient, pour aller se déposer sur un rayon de la Bibliothèque nationale."

Une nouvelle vision du monde

Page 159 il écrit, " ma conscience est en miettes, tant mieux. D'autres consciences m'ont pris en charge. Pour celui qui sait m'aimer, je suis son inquiétude la plus intime mais s'il veut me toucher je m'efface et disparais, je n'existe plus nulle part, je suis enfin ! Je suis partout parasite de l'humanité."
Il n'y a pas de morale qui retienne son attention, il n'y a que l'histoire, qui encore mérite d'être pensé par lui, Sartre providence, verbe et langage.

"La bibliothèque j'y voyais un temple ; p 51"

Ce texte" les Mots" est hallucinant, par la franchise, la gravité ou la naïveté avec laquelle il exprime, sa mission, la comparant à celle d'un prophète, qui porte une parole sacrée.

"Puisqu'on me refuse un destin d'homme , je serai le destin d'une mouche ; p 200.
Mon délire était manifestement travaillé ; p168 il termine son livre par ce que j'aime en ma folie !"

Alors quelle doit être leur place?

Pour moi l'humanité s'incarne ici, dans une expression charnelle de la vie, les mots sont l'expression des sens, de la vie et de la mort, l'expression de la souffrance.
L'enfant Jean-Paul juge cruellement sa mère, ou la voit comme une sœur dont il est le poupon.
Comment peut il effleurer par exemple les sentiments d'un Camus qui est dévoué et bouleversé par sa mère.

Il y a, me semble t-il beaucoup de souffrance, dans ces pages, et comme une nausée que l'adulte cherche à dissiper. Ce qui fait mystère et ce qui donne à cette confession une force exceptionnelle c'est de sentir son doute prodigieux, entre ses rêves démesurés et ce corps, sa condition humaine, qui n'a cessé de l'encombrer.

Qualifiant son œuvre, il est sévère ou élogieux et la perçoit comme évangélique pour changer le monde.Ou bien, une chimère tant les mises en perspectives sont violentes, avec ce "je suis un parasite" !

Dans un interview, Arlette Elkaïm Sartre, rapporte que Les Mots devait commencer par Jean sans terre, ( sans assise).


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