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Critique de Kirzy


Kirzy
10 février 2021
Le voilà mon premier coup de coeur de l'année ! Et c'est un premier roman, âpre, à l'héroïne de la trempe de celle qu'on n'oublie pas.

Mathilde ne dit rien mais elle est là. Elle a des yeux et une conscience. Elle a un passé terrible qu'elle est parvenue à éloigner durant douze ans en exerçant comme travailleuse sociale dans une collectivité territoriale jusqu'à un événement la fasse basculer : l'expulsion à venir de ces voisins à cause d'un salopard qui les a mis financièrement dans la mouise. Et là, elle fonce et défonce tout en mode justicière lorsqu'elle comprend que les recours légaux seront vains.

Le prologue est absolument époustouflant, dès les premières phrases qui instaurent d'emblée une tension narrative qui ne fera que monter crescendo : « Voilà presque dix minutes qu'elle tourne autour de la maison. C'est pas normal. Elle est grande, large, robuste. de dos, on la confondrait avec un homme. Elle en a la musculature, les cheveux courts et mal peignés. Quel âge a-t-elle ? Quarante ans ? Cinquante ans ? ». L'écriture est précise, affutée, se glissant avec fluidité à hauteur d'homme et de femme.

«  Toute la nuit, quelque chose de noir et de brûlant empêche Mathilde de dormir. C'est un abîme de rage profond comme les siècles. C'est un grondement qui la change en rivière de lave. C'est la peur sourde que tout s'arrête, d'un coup, sans que ni elle ni personne n'y puisse rien faire. Ce qui nous donne vie peut la reprendre. le monde est pleine de tant d'horreurs. Les calamités, ici-bas ne sont pas des exceptions. Période de veille. Période de cauchemars. Alternance floue entre l'impossible et le pire que ça. Bruits de grosses cylindrées qui se répercutent contre les façades des immeubles de la place carrée. Sa chambre est une caisse de résonance. Elle dort dans un instrument de musique qui joue une symphonie mélancolique. Elle pourrait ne plus se réveiller. La nuit pourrait durer toujours. Elle cogite. »

S'en suit un récit haletant ramassé sur sept jours, construit comme un compte à rebours à l'implacable mécanique narrative. Quel formidable personnage ! Tristan Saule parvient à la caractériser parfaitement sans user de passages psychologisants lourdauds, maintenant un juste équilibre entre ses zones d'ombre et des éclairages brefs sur son passé. Elle est présentée comme un être d'action, qui avance, une force qui va, une force de percussion lorsqu'elle décide d'en découdre et de se confronter à ses vieilles blessures.

Si les qualités du roman s'arrêtaient là, Mathilde ne dit rien serait déjà un très très bon roman. Ce qui est également formidable, c'est l'humanisme et le réalisme qui se dégagent du récit. le roman noir se fait social et propose une peinture sociétale nuancée , ancré dans un quartier populaire d'une ville moyenne dans une France rongée par les inégalités. La France des gilets jaunes est en toile de fond, mais très lointaine, car tous les personnages qui gravitent autour de Mathilde sont trop occupés à survivre, trop conscients qu'ils ne comptent pour personne. Rare de lire un roman aussi intelligent sur la France des marges, des invisibles, des oubliés, un roman engagé et vibrant.

Il s'agit du premier tome d'une série « Les Chroniques de la place carrée ».
C'est peu dire que j'ai hâte de me plonger dans le prochain ( j'adorerais que ce soit le très beau personnage du jeune Idriss qui en soit le personnage principal ).
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