AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Romileon


J'ai cru avec une grande naïveté (ou une bonne dose d'à priori) que Walter Scheidel était un très vieil historien, un très vieil homme faisant le point, un bilan de toutes les connaissances acquises, assimilées, digérées au fil d'une longue vie de travail.
Quelle n'a pas été ma surprise en découvrant qu'il était plus jeune que moi (donc pas si vieux...) !

Son travail est remarquable !
Comment en parler de la manière la plus efficace : le fond ? la forme ?

Commençons par la forme car c'est elle qui va permettre au lecteur de mener la lecture de cette somme à son terme.
D'abord, c'est très pédagogique. Sur les 645 pages de sa démonstration, il se donne la peine de définir toute une série de notions pas forcément familières au lecteur lambda et parfois pointues, qu'il répète même plusieurs fois au fil du texte ce qui évite au lecteur de fouiller dans le volume (ou dans un glossaire) pour retrouver ladite définition. Il s'efforce aussi de récapituler à intervalle régulier sa thèse, ses arguments. Enfin, il écrit des phrases, certes longues (on ne développe pas des idées élaborées avec des phrases simples) mais parfaitement construites et donc claires. le traducteur, Cédric Weis mérite probablement d'être félicité.
Ensuite son travail est remarquable par son souci constant des preuves. Tout ce qu'il avance est sourcé. Et les sources sont impressionnantes. Cet homme a tout lu : Histoire bien sûr mais aussi archéologie, anthropologie, socio, économie. Il adopte d'ailleurs un parti pris intéressant. Pour deux des quatre pistes qu'il étudie il part des événements les plus récents car parfaitement et abondamment documentés puis recule par palier jusqu'à des périodes très lointaines et donc aux données très incertaines.

Le fond maintenant !
Son thème est annoncé par le titre. Il faut peut-être préciser qu'il s'agit bien d'une histoire des inégalités de revenus dans le monde des origines de la civilisation à nos jours. Vaste programme !
Sa thèse : "Seule la violence a permis de réduire les inégalités".
Quelle violence ?
Elles sont 4 ou plutôt ils sont 4 puisqu'il les surnomme les 4 cavaliers de l'Apocalypse. Je vais m'efforcer de résumer les idées principales dans l'ordre où Walter Scheidel les présente en m'appuyant sur les exemples les plus significatifs mais en évitant toutes les nuances (riches mais bien trop nombreuses) ...
Le 1er fléau est la guerre et en particulier la guerre de masse dont les 1ère et 2ème guerres mondiales sont les meilleurs exemples. Les moyens humains bien sûr mais surtout matériels qu'elles ont exigés ont provoqué des changements durables dans la répartition des richesses. Les riches (les fameux 1%) ont été très fortement mis à contribution, les Etats sont intervenus activement dans les choix économiques, sont devenus Etat-Providence en instaurant une fiscalité plus régressive, plus redistributive et donc une répartition des revenus plus égalitaire et relativement durable.
Le 2ème fléau est la Révolution et en particulier les révolutions russe et chinoise. le nivellement a été radical et d'une extrême violence. Les expropriations, redistributions, collectivisations n'ont pu avoir lieu qu'avec une surenchère de brutalités. Par contre, cette égalité imposée (égalité dans la pauvreté du plus grand nombre) n'a duré que le temps de ces régimes extrêmes.
Le 3ème fléau est l'effondrement des Etats qui conduisent à un effondrement de l'ordre économique et social. L'exemple qui m'a le plus parlé est celui de la chute de l'Empire romain (période de prédilection de l'auteur) dans lequel les inégalités étaient extrêmes, une élite avide accaparant toute les richesses, rendant peu à peu l'Etat impuissant entre autre à se défendre des attaques extérieures jusqu'à l'effondrement total.
Enfin, le 4ème fléau est la pandémie…. Et oui ! Ici, l'exemple le plus parlant est la peste noire de 1348… Ses effets ont été dévastateurs, égalisateurs puisque Toutes les classes, sociales ont été touchées, que la population survivante a pu se partager les ressources mais ce, aussi longtemps que la reprise démographique aura rétabli le niveau de population habituellement acceptable par une société agricole.
Walter Scheidel ne s'arrête pas là. Il vérifie d'autres pistes mises en pratique ici ou là, réforme agraire, effacement des dettes, éducation, démocratisation, croissance économique. Aucune ne sera validée.
La croissance des inglités depuis 1980 lui permet d'achèver cette « somme » par des réflexions sur notre avenir. Un possible retour d'un des 4 cavaliers ? Des projections sur les migrations à venir nécessaires pour des raisons démographiques et leurs effets probables dans les pays riches ; des projections sur l'Intelligence Artificielle et ses effets sur le marché de l'emploi, sur l'homme augmenté : implants pour tous également ou seulement pour des nantis qui renforceront les inégalités…

J'ai trouvé cette lecture très stimulante mais aussi démoralisante. Elle m'a demandé des efforts (notamment les preuves chiffrées : les chiffres me rebutent un peu…) mais elle m'a rendu bien plus lucide sur les possibles « égalitaires » qui s'offrent à nos sociétés.
« Une bonne guerre ! » Une bonne pandémie ! ».
Il y a certes à gagner mais tant à perdre.
Je recommande chaudement cette lecture à un lectorat averti.
Merci à Masse Critique et aux Editions Acte Sud de m'avoir offert l'opportunité de me lancer dans cette lecture exigeante mais salutaire.

Commenter  J’apprécie          2614



Ont apprécié cette critique (24)voir plus




{* *}