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Critique de Dossier-de-l-Art


En physique, un électron libre se déplace à volonté d'atomes en atomes sans jamais appartenir à aucun. On ne peut trouver meilleure image pour faire le portrait de Pierre Schneider, qui fut un des premiers historiens de l'art free-lance du XXe siècle, ni universitaire, ni conservateur de musée, ni même journaliste au sens propre du terme. Critique d'art, conférencier, organisateur d'expositions et écrivain, Pierre Schneider, qui s'est éteint en 2013, occupait une place particulière sur la scène parisienne. Il appartenait à la génération de l'après-guerre, qui bénéficia d'un nouvel élan de la presse écrite. À l'heure où des historiens de l'art se voyaient confier plusieurs colonnes dans les journaux quotidiens, il fut un des piliers du jeune hebdomadaire L'Express, créé en 1953.

À quelques exceptions près, ce monde-là a disparu, remplacé par les blogs, les tweets, les chats et toutes les publications dématérialisées, qui ont bien souvent le retentissement d'une fusée : éclairantes, mais courtes.
Or la réunion de ces chroniques choisies, écrites dans L'Express de 1960 à 1992, donne quelque nostalgie de l'écriture longue, posée, qui prenait le temps d'expliquer. Cela n'empêchait pas la vivacité : Pierre Schneider est un polémiste plein d'humour, notamment lorsqu'il critique les aménagements du quartier des Halles à Paris ou encore la nouvelle culture du « chiffre » des musées, dont la préoccupation est « l'absorption et l'expulsion efficacement réglées des hordes humaines » plutôt que la pédagogie. Mais il pose toujours les prémices de sa réflexion, revient à des panoramas historiques et renseigne efficacement son lecteur sans didactisme pénible. L'ensemble surprend par sa diversité : l'auteur passe de Matisse, dont il était spécialiste, aux fresques de la Renaissance ; il s'intéresse autant à l'émergence des fondations privées, à la muséologie, aux institutions patrimoniales, qu'à l'urbanisme contemporain. Pourtant un fil directeur sous-tend tous ces textes : la définition de la beauté. Elle obsède Pierre Schneider, qui ne la trouve pas dans le caractère « avant-gardiste » de l'oeuvre, à l'inverse de nombre d'historiens de l'art de son temps, mais dans l'expérience mystique du spectateur et dans « l'émotion qui libère ». Il comprenait certainement la fonction sociale de l'art et l'importance du contexte qui l'avait vu naître (en témoignent de très belles pages sur l'art des graffitis), mais c'est tout ce qui transcendait le pesant réel qui l'intéressait. Aussi peut-on voir Pierre Schneider comme un idéaliste. Mais c'est aussi un prophète, qui avait compris le retour du « spirituel dans l'art », ou du moins, les ressorts de la fascination esthétique que l'art pouvait exercer. Quoi qu'il en soit, la lecture de ce petit livre au papier épais, bien encré, à la mise en page aérée, est particulièrement agréable. Une introduction de Rémi Labrusse, de courts témoignages (l'un très sensible d'Yves Bonnefoy), une bio- bibliographie, ainsi qu'un index, participent de la réussite de cette édition, parfaitement soignée.

Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 532, mars 2017
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