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Critique de Eric75


Eric75
22 septembre 2014
Houlà me suis-je dit, attention, je m'attaque ici à du lourd, à du très lourd… Car nous sommes en présence d'un Grand Maître, d'un Grand Ancien, d'un Grand « Père », d'un Grand Illuuuustrissime et Tooooopissime Inventeur de la Mécanique Quantique ! Chevelure en pétard, petites lunettes rondes, noeud papillon de travers, rire malicieux – cf. la nouvelle couverture du livre chez Points-Sciences –, il est entré dans la Légende : voici Erwin Schrödinger, l'inventeur de l'Équation (du même nom) et du Chat (du même nom aussi).
Du très lourd… Et pourtant, ce court essai ne pèse « que » 120 pages, hors introduction (20 pages environ) et notes (45 pages – en petits caractères – situées en fin de volume) deux ajouts indissociables que l'on doit à Michel Bitbol, directeur de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'École polytechnique, chercheur en philosophie des sciences. le texte de Schrödinger est constitué de deux parties : la première « Science et Humanisme » (Science and Humanism, physics in our time) a été rédigée en 1951 à partir de quatre conférences données à Dublin en 1950, la seconde « La situation actuelle en mécanique quantique » est la traduction d'un article datant de 1935 (Die gegenwärtige Situation in der Quantenmechanik), l'année de l'invention du Chat, soit deux ans après l'attribution du prix Nobel de Physique reçu en 1933.
Quand on s'appelle Schrödinger, on s'en doute, on ne fait pas dans la vulgarisation à la petite semaine pour béotiens. Pour autant, on ne déballe pas non plus les formules mathématiques qui sous-tendent la théorie ou qui servent dans la démonstration de l'Équation ; d'ailleurs, Michel Bitbol, le décodeur inclus, va devoir s'en charger lui-même dans ses notes pour tenter d'éclairer notre lanterne sur les laconiques assertions d'Erwin. En fait, le texte de d'Erwin Schrödinger est purement et simplement (si j'ose dire) philosophique : il ne développe pas la description des modèles atomiques de l'époque, il ne s'étend pas sur les procédés expérimentaux utilisés, il ne raconte pas l'aventure quantique empruntant ses chemins détournés, il ne s'interroge que sur l'interprétation de la théorie quantique, au moment où les récentes découvertes – comme le principe d'incertitude d'Heisenberg ou l'énoncé du paradoxe Einstein-Podolsky-Rosen – provoquent de passionnants débats et sèment la confusion et le trouble chez les savants (nous ne sommes qu'en 1935).
Schrödinger s'adresse visiblement à un public aguerri, sans doute formé initialement de scientifiques et de physiciens, et il s'avère donc difficile à suivre pour un lecteur non averti. L'auteur aborde dans la première partie les notions de continu et de discontinu dans la représentation du réel, les relations de causalité, le problème du libre arbitre, l'interdépendance entre le sujet et l'objet. Mais toutes ces notions revisitées et expliquées à l'éclairage de la mécanique quantique resteront hermétiques au lecteur qui en ignore les concepts. Dans la seconde partie, plus ancienne, Schrödinger aborde plus ouvertement la théorie, évoque la fonction d'onde et son effondrement, le paradoxe du chat, les variables cachées et l'intrication (appelée ici « entremêlement »), le problème de la mesure, les résultats qui dépendent de la volonté de l'observateur, le rôle du temps et les limites de la conception non relativiste de la théorie, etc. Ici encore, Michel Bitbol, tel Zorro, arrive à la rescousse avec moult précisions puisées dans les écrits scientifiques, les courriers échangés, le formalisme mathématique qui avait été initialement occulté, les évolutions actuelles de la théorie, voire ses propres analyses d'épistémologue, etc. pour aider le pauvre lecteur à comprendre et à suivre sans se perdre les méandres de la pensée schrödingérienne.
L'effort est louable, mais il exige du lecteur qui joue le jeu une attention redoublée par la lecture en parallèle du texte et des 145 notes (qui sont très copieuses), ainsi qu'une sorte de dextérité manuelle lui permettant d'utiliser deux doigts à la fois, introduits à deux endroits différents dans la tranche du livre pour tourner simultanément les pages à partir des textes et des notes en correspondance (les lecteurs de moindre habileté s'autoriseront à utiliser deux marque-pages).
Ces deux textes d'Erwin Schrödinger sont manifestement entrés dans l'histoire, au même titre que le court essai d'Einstein vulgarisant la Relativité. Il ressort de cette lecture exigeante le sentiment d'avoir accompli de méritants efforts, pour parvenir à maîtriser un débat qui donne une représentation un peu datée de la mécanique quantique (par exemple en s'interrogeant sur le rôle de la conscience de l'expérimentateur selon l'interprétation d'Eugène Wigner), et dont l'intérêt réside surtout dans la célébrité et la notoriété de l'auteur.
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