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Critique de Antyryia



En principe, je suis censé rencontrer ma conseillère financière une fois par an.
Etrangement, tant que j'avais deux crédits en cours auprès de la Banque Postale ( pour ne pas la citer ), je suis resté plusieurs années sans avoir de ses nouvelles.
Depuis que je n'ai plus aucune dettes en revanche ... les propositions de rendez-vous se multiplient.
Pour me faire ouvrir une assurance-vie, un nouveau contrat d'épargne, ou n'importe quoi d'autre maintenant que je suis redevenu solvable ?
Parce que je ne suis pas un client intéressant si je n'ai ni emprunt, ni agios, ni frais d'avis à tiers détenteur ?
Je l'ignore, puisque je ne l'ai jamais revue.

"Les découverts des français représentent environ sept milliards d'euros. Ils correspondent à des prêts à court terme qui se situent entre huit et seize pour cent, ce qui revient à une sodomie."
Depuis son roman Bad trip qui dénonçait déjà l'ironie du mot "Populaire" dans la banque éponyme, Jacky Schwartmann revient à la charge. Selon lui, les agences bancaires sont à l'origine d'un racket élaboré, légal, qui rapporte davantage que n'importe quelle activité liée au grand banditisme.
Pour autant, François Feldman a à nouveau besoin de sa banquière.
♫ Maintenant que deviennent / Que deviennent les valses de Vienne ? / Et les volets qui grincent / D'un château de Province ? ♫
Alors non, rien à voir avec le chanteur. Ce François là est juste un homonyme, un Français qui a grandi dans la banlieue de Villeurbanne et dont le physique rappelle davantage celui du juif ou de l'arabe.
"Pour résumer, depuis que je suis gosse, on m'appelle soit le Juif, soit le Rebeu blanc."

Il faut s'adapter à notre monde en perpétuelle mutation, et c'est pour ça par exemple que les métiers de services au troisième âge se développent de plus en plus. Mais les entrepreneurs rivalisent de plus en plus d'idées et d'ingéniosité en proposant l'entretien des sépultures de nos proches, la sculpture sur légumes ou encore l'entretien d'aquariums ...
François Feldman s'adapte lui aussi à la présence de ces nombreux Arabes qui déplorent de devoir enterrer leurs défunts en France plutôt qu'au pays. Et il se propose donc d'importer de la terre d'Algérie afin que les familles puissent faire leur deuil plus facilement.
"Ce que je me proposais d'apporter aux Algériens de France, ils en voudraient tous."
La réaction de Juliane Bacardi, la fameuse conseillère financière, ne se fait pas attendre. Elle trouve l'idée d'un tel mauvais goût ...
"C'est une française ultra française, de bonne famille, bien élevée, le genre de meuf qui ne dit jamais par contre mais en revanche."

Devant le refus de Connasse Bacardi ( son petit surnom ), François pense à une solution alternative et se rend chez Saïd Belchia, son ami d'enfance, devenu aujourd'hui le caïd de la cité des Buers, dans les quartiers chauds de Villeurbanne, dont il contrôle le trafic de drogue.
"Cité de merde remplie de blaireaux et de mecs tordus et violents."
Quand, dans le même temps, Juliane écrasera malencontreusement un des lieutenants de Saïd au volant de son Audi, l'histoire s'accélèrera et prendra la forme d'une improbable course-poursuite entre ces jeunes de la cité qui crie vengeance d'un côté, la police d'un autre, et bien sûr la banquière et François, au mauvais endroit au mauvais moment, qui se retrouve bien malgré lui embarqué dans cette galère, en compagnie de cette femme complètement coincée.

Cette situation totalement loufoque est bien entendu un prétexte.
Un prétexte à une folle épopée pleine de rebondissements bien tirés par les cheveux, et à des gags qui parfois font mouche.
Un prétexte également pour rendre complices deux personnes que tout oppose : le faux Rebeu des cités pas forcément fûté et la femme bon chic bon genre, de droite, née avec une cuiller en argent dans la bouche.
"Je pense que nous sommes les Bonnie and Clyde les plus ringards de toute la création."
Enfin et surtout, un prétexte aux nombreux dialogues qui parsèment l'échappée de ce couple dépareillé.
Leur vision du monde qui s'oppose, les inégalités sociales, les Algériens de France, les jeunes des cités ...

Si je ne me trompe pas, le jeune Jacky Schwartzmann a grandi à la fois dans les cités et dans les quartiers bourgeois, et donne l'impression de nous restituer les deux différents sons de cloche qui ont bercé son enfance à propos notamment de la place des Maghrébins en France : Celui des préjugés et celui des banlieues.
Avec un humour corrosif, un peu à la façon de l'humoriste Jeremy Ferrari, il dit tout haut ce que certains pensent ou votent tout bas.
"Vous êtes Franco-Algérien mais vous dénigrez la France. Répondez juste à une question : Qu'est-ce que l'Algérie a fait pour vous, au quotidien ? Je veux dire, en termes d'allocations, d'aides, etc."

Le sujet des banlieues me met souvent mal à l'aise. Les médias nous imposent un point de vue socialement correct, surtout en ces temps troublés où les amalgames sont faciles.
Mais comment rester serein dans un train quand dans la banquette à côté de la votre se trouve un jeune musulman barbu, avec une mallette ? L'idée qu'il s'apprête à faire un baroud d'honneur en emportant le plus de méchants Français avec lui vous traverse forcément l'esprit, non ? Même si vous savez parfaitement que c'est un mauvais raisonnement.

Ayant vécu et travaillé dans le centre ville de Saint-Denis pendant quinze ans, l'une des villes les plus cosmopolites de France, c'est difficile de garder toute objectivité et d'avoir du recul.
Deux fois par semaine environ, j'empruntais la rue du Corbillon, où s'était réfugié le coordinateur des attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Si bien que quand François Feldman, dont l'actuel métier est de vendre des t-shirts avec des citations d'homme célèbre, a l'idée d'un nouveau modèle qui se vendrait comme des petits pains dans les cités, ça m'a fait sourire très jaune. Parce qu'il n'est pas loin de la vérité.
"La citation c'est "Bonjour, c'est bien ici Charlie Hebdo ?". Et c'est signé Chérif Kouachi."

Pour faire le plus court possible, mes années dans le 93 ont été marquées par les petits trafics de drogue au su et au vu de tous à proximité de la gare. J'ai le souvenir de différents collègues agressés : L'une projetée violemment contre le sol tandis que le malfrat lui arrachait son collier du cou, l'autre à la main abîmée par une barre de fer parce qu'un gamin en vélo l'avait frappé pour pouvoir récupérer son téléphone portable. Parmi mes usagers, une pharmacienne avait été victime d'une attaque à main armée et avait perdu l'usage de ses jambes. J'ai reçu une fois un homme attaqué à la machette : On lui avait coupé une oreille et massacré le dos juste parce qu'il s'était interposé dans une bagarre de rue.
Donc cette colère existe bel et bien dans les cités, notamment chez les jeunes, et elle est accompagnée de violences parfois extrêmes, sans cible précise.
A contrario, il m'a été donné de rencontrer des personnes de tous les horizons géographiques particulièrement reconnaissantes et généreuses ( beaucoup plus qu'en province ), parfaitement intégrées malgré une culture un peu différente. Et ces français d'origine indienne, malienne, israëlienne ou marocaine, qui ont du le plus souvent batailler plus dur que les autres pour pouvoir apprendre notre langue et ouvrir leur entreprise, méritent le plus grand respect, la plus grande tolérance.

Jacky Schwartzmann égratigne quant à lui l'image de l'Arabe venu en France pour vivre des aides sociales, sans nier l'existence de ce phénomène qui a tendance a irriter parfois notre système de solidarité.
"Quand on décide d'évoluer en burka, on se doute bien que même le Lidl ne nous prendra pas comme caissière."
Mais il rappelle malicieusement que le véritable problème, c'est peut-être davantage le système de répartition des richesses, en faisant référence aux actionnaires et aux salaires démentiels de certains chefs d'entreprise.
Une aberration dont on détourne notre regard en pointant le doigt vers ces individus en marge de la société.
"On est parvenu à leur faire croire que s'ils ont dans la merde, ce n'est pas à cause de ceux qui ont tout le blé, non, c'est à cause de ceux qui n'en n'ont pas du tout."

Il y a un passage que j'ai beaucoup aimé également, par lequel je me suis senti directement concerné :
"Les gens disent Maghrébins parce que Arabe on croit que c'est une insulte. C'est comme quand on dit Black au lieu de Noir. C'est pas parce que c'est plus branché, c'est parce que c'est moins gros mot. C'est un mot light en fait, comme le coca."
Et en effet, je suis le premier à me reprendre parfois, que ce soit à l'écrit ou à l'oral, quand je dis Noir. Black me paraît plus passe-partout, plus cool, et en ces temps troubles où le moindre mot de travers peut entraîner des accusations infondées de discrimination, je ne suis même plus sûr du vocabulaire que je suis en droit d'utiliser ou pas ... et apparemment je ne suis pas le seul.

Le livre fourmille de petites piques, de préjugés ( s'il a grandi dans les cités, François doit bien être capable de faire démarrer une voiture avec les fils, non ? ) plus ou moins fondés, de clichés vrais ou faux.
Parfois on s'en amuse, parfois ça crée un léger malaise, mais au moins il n'y a aucune hypocrisie bien pensante ni surtout aucune volonté de rester politiquement correct. Et quand l'auteur dépasse un peu les bornes de l'acceptable, le second personnage est là pour exposer son point de vue opposé.
Deux personnes, deux cultures, deux regards pour avoir une vue d'ensemble parce que chacun demeure uniquement concentré sur son nombril sans faire l'effort de se mettre à la place de l'autre ou des personnes incriminées.
Et heureusement, les propos tenus ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre.
"Le second degré venait d'entrer dans sa vie et, visiblement, elle n'était pas contre."

Si l'humour mordant permet de faire réfléchir, d'élargir notre point de vue sur des sujets particulièrement sensibles tout en passant un bon moment, les scènes d'action sont quant à elles un peu téléphonées, prêtent parfois à sourire, mais tout va beaucoup trop vite.
J'ai globalement pris plaisir à la lecture de ce petit roman acide, je déplore cependant qu'il n'ait pas été plus consistant.
Son intrigue ne tient - certes volontairement - qu'avec quelques grosses ficelles et son ironie provocatrice ne fait que soulever légèrement le voile des préjugés et du racisme en France ( et ce des deux côtés de la barrière ), un pays où finalement on n'est pourtant pas si mal.
Je l'ai donc refermé avec un sentiment d'inachevé, tant dans le périple tumultueux ( et totalement absurde ) de nos deux protagonistes que dans les réflexions intéressantes qui auraient toutefois parfois nécessité d'être approfondies plutôt que de n'être que survolées avec ce ton corrosif.
Mais je vous le conseille cependant si vous pouvez rire de tout.

J'allais également signaler la curieuse absence d'un chapitre 13 ... Mais je constate que c'est également le cas dans le précédent roman de l'auteur. Mauvais coûts et Demain c'est loin passent tous les deux sans transition des chapitres 12 à 14.
Faut-il y voir une quelconque superstition de la part de l'auteur ?

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