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Critique de michfred


Difficile d'oublier Les Amnésiques.

Difficile aussi de répertorier ce livre sous une étiquette commode : essai biographique? historique? politique?

Essai, de toutes façons.. Et sûrement pas roman. Témoignage non plus, tant le matériau autobiographique est passé au crible de la confrontation historique, de l'enquête journalistique.

Livre inclassable, donc, d'une puissance de démonstration impressionnante, qui va chercher jusque dans les derniers événements- la vague d'immigration en Europe due aux guerres du moyen orient, les dernières élections en France, etc..-  matière à illustrer sa thèse.

 L'auteure, de mère française et de père allemand, élevée dans un biculturalisme parfait, européenne convaincue, historienne de formation et journaliste de profession, signe avec ce premier livre, un coup de maître!

Son grand père allemand a racheté, pendant la guerre,  à bas coût , un commerce juif, profitant des lois raciales instaurées par le pouvoir nazi- l'aryanisation des entreprises et des commerces- et paiera, après la guerre, au seul rescapé de cette famille juive émigré aux États Unis, un remboursement régulier pour ce bien mal acquis. 

L'autre grand père, le français, gendarme de son état , a  dû, du fait de son statut, convoyer vers le camp de Gurs, proche de son domicile, les réfugiés juifs allemands qui seront bientôt envoyés, sous la garde vigilante de la gendarmerie et de la police françaises, de Gurs  à  Auschwitz. ..

Cette double culpabilité originelle, l'auteur en fait le moteur de son livre.  

A partir de ces deux cas de figures personnels qu'elle interroge avec exigence et honnêteté, l'auteure élargit son propos à  l'attitude des deux pays,  liés  pendant 5 ans par un régime de collaboration sans aucun équivalent à l'époque. Elle étudie et compare  les intermittences de la mémoire, en France et en Allemagne,  de l'après-guerre jusqu'à nos jours.

En France, le "résistentialisme " pratiqué  tant par les gaullistes que par les communistes,   a occulté la culpabilité et les compromissions de tout un pays - et pas seulement de "Vichy":  les arrestations, les rafles,  les délations, les discriminations, les lois raciales  sont les manifestations opportunistes, sous l'occupation nazie et le régime de Vichy, d'un antisémitisme bien français,  antérieur à l'affaire Dreyfus- .  le "devoir de mémoire" , instauré dans  les années 80,  a enfin donné à la Shoah la place tragique qu'elle doit avoir dans l'histoire mais sans la relier vraiment à une responsabilité collective française :  l'expression même "devoir de mémoire" donne au travail mémoriel un aspect officiel, canalisé et contraint.

En Allemagne, longtemps étouffée,  la culpabilité s'est lentement fait jour, et le travail patient de certains juges- singulièrement, le procureur Fritz Bauer- a permis d'extirper de l'administration -sinon des grands groupes industriels...- les nazis notoires qui y demeuraient. Mais surtout est apparue la notion de Mittlaufer-ceux qui marchent derrière- qui montrait à quel point le suivisme passif avait permis à l'horreur nazie d'avoir pleine licence et coudées franches! Contrairement à la vision "étatique" de la culpabilité française, l'Allemagne, lentement mais sûrement, a fait un mea culpa nettement plus collectif - cette "gestion du passé " a permis de repartir sur des bases plus saines, même si la fusion des deux Allemagne a donné du fil à retordre  à cette douloureuse gestion..

Un pays sans gestion honnête de son passé est un pays  qui n'arrivera jamais à exorciser ses démons, un pays qui ne "grandira" jamais, ne tirera aucune analyse de ses erreurs, un pays qui ne sera jamais une démocratie,

C'est ce qui m'a semblé être le message profond de ce livre sincère, rationnel, rigoureux, et surtout convaincant , où l'histoire personnelle, sans le moindre exhibitionnisme et sans intimisme superflu,  sert de terreau à une réflexion plus générale et collective sur la grande Histoire.

Celle qui nous concerne tous. Écrite et à écrire.

Une lecture vraiment indispensable! Merci Kielosa pour cette découverte!
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