AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Rodin_Marcel


Schwarz Géraldine – "Les amnésiques" – Flammarion, 2017 (ISBN 978-2-0814-1699-4) – format 22x15cm, 350p.

Un livre à mes yeux tout à la fois important et décevant.

Important car il traite d'un point quasiment inconnu du grand public français, et qui a pourtant joué un grand rôle dans ma vie de jeune frontalier à saute frontière franco-allemande, à savoir le relèvement spectaculaire de l'Allemagne de l'Ouest dévastée, ruinée, démembrée, juste après le désastre provoqué par la folie hitlérienne, dans les années 1945-1970.
Ces années où précisément j'eus l'occasion – tout comme cet auteur franco-allemande – de vivre des choses essentielles dans cette Allemagne du "miracle économique" de Ludwig Erhard, y compris ce trouble rapport au nazisme des allemandes et allemands de la génération d'avant, ayant "suivi" ce régime – les "Mitläufer".
A juste titre, l'auteur les nomme "les amnésiques" tant elles et ils faisaient tout pour oublier (se cacher à eux-mêmes) qu'elles et ils avaient cautionné ce régime : à les entendre, les hommes mobilisés dans la Wehrmacht avaient pratiquement tous été infirmiers (!!!) sans jamais tenir un fusil, tandis que les jeunes femmes se livraient à d'innocentes randonnées dans le cadre du BDM (Bund Deutscher Mädel – branche féminine des Jeunesses Hitlériennes). Ce point n'était pratiquement jamais évoqué frontalement par les parents allemands, mais ce silence minait les jeunes de notre âge...
Surtout dans la mesure où les parents français, eux, faisaient souvent état des exactions et rafles (mises exclusivement sur le dos des "boches", bien sûr) : le procès du massacre d'Oradour tenu en 1952 avait connu un extraordinaire retentissement, la spectaculaire capture d'Eichmann puis son procès et son exécution en 1961-1962 par les israéliens avait alimenté les conversations à la table familiale, rappelant sans cesse le destin des membres de la famille capturés ou déportés, revenus ou non des camps...
L'auteur remonte encore plus loin dans l'histoire de la branche allemande de sa famille, montrant combien ses grands-parents – des "Mitläufer" des classes moyennes – avaient su bénéficier des opportunités qu'offrait la spoliation des juifs aisés, et plus particulièrement la possibilité de "racheter" à un prix dérisoire la participation de l'associé dans la firme fondée conjointement avec le grand-père.

Un témoignage cependant extrêmement décevant.
Certes, l'auteur n'hésite pas à dévoiler toutes les turpitudes des grands-parents pleinement acteurs du soutien passif au nazisme indéniable de la part de ces milieux aisés qui – pour le moins – ne protestèrent guère lorsque cette idéologie emportai l'adhésion des foules allemandes – le grand-père allemand "Opa", représentant quasi archétypal de ces "Mitläufer", meurt le 20 septembre 1970 (p. 217) à l'âge de 67 ans : il était donc né en 1903, il avait trente ans en 1933, il était à la tête d'une moyenne entreprise cofondée avec un associé d'origine juive dont il va "racheter les parts" à vil prix lors de "l'aryanisation" de l'économie allemande ; après le désastre, lui et sa femme ne feront guère acte de contrition...
En revanche, son père est paré de toutes les vertus : il avait 15 ans en 1958 (p. 129), ce qui le fait naître en 1943 et faire son service militaire entre 1963 et 1965 (p. 137). Sa fille, l'auteur de ce livre, ne tarit pas d'éloge à son sujet : il est très tôt conscient des crimes du nazisme, n'hésite pas à fouiller dans le passé familial, et va se marier en mai 1971 avec une bonne française – Josiane, mère de l'auteur (p. 182) dont le père était policier sous le régime de Vichy.

Sauf que, sauf que... de par ses origines sociales, le père garantit un niveau de vie plus qu'aisé à sa famille, et notre gentille auteur est donc élevée, éduquée, formatée par ce milieu des privilégiés au grand coeur qui deviennent les bobos bien pensants dès les années soixante-dix, ces gens devenus des conformistes à tout crin exhibant constamment leurs bons sentiments puisqu'ils et elles vivent dans les quartiers de l'entre-soi caractéristiques des métropoles occidentales.
Notre brave journaliste vit à Berlin, dans le quartier du Kreuzberg (cf p. 322), l'épicentre du boboïsme allemand.

Ayant pour ma part vécu dans des milieux populaires beaucoup plus humbles et dans des lieux nettement moins branchôsss, je mesure à quel point il convient de relativiser ses propos gentillets emplis de componction sur la dénazification des esprits dans ce qui était alors l'Allemagne de l'Ouest. Certes, il y eut un effort fait en ce sens dans certaines strates aisées de la société, mais le titre qu'elle donne elle-même à son ouvrage "Les amnésiques" laissait espérer un approfondissement bien plus exhaustif de la question...

Cette faiblesse devient calamité lorsque – en fin d'ouvrage – elle tente d'aborder la vie dans l'ex-DDR/RDA, cette Allemagne de l'Est occupée par les soviétiques, dont le régime prétendait construire le communisme. Ses propos trahissent sa méconnaissance absolue de ce que fut cette dictature, et dans ce cas-là, on se doit d'éviter d'écrire des âneries. Ayant moi-même vécu dans ce pays avant son effondrement, dans un milieu très populaire, j'y ai rencontré le seul allemand de cette génération des Mitläufer qui parlait sans affectation, sans fard, mais avec une réelle contrition et consternation de son passé d'enthousiaste du nazisme à ses débuts triomphants : lui n'était pas amnésique, mais il est vrai qu'il n'était qu'un humble ouvrier...

Pour conclure, l'auteur ne se rend même pas compte à quel point elle détruit elle-même tout son propos, tout son échafaudage de bons sentiments lorsqu'elle décrit (pp. 318-325) l'accueil outrancièrement chaleureux que certain(e)s allemand(e)s réservèrent aux trains de migrants fin 2015 arrivants en Allemagne pour conclure par

"j'avoue avoir moi-même songé à adopter un enfant syrien, mais je me suis finalement contentée de donner mon numéro de téléphone pour mettre mon appartement à disposition au cas où des réfugiés arrivant tard le soir à Berlin auraient besoin d'être logés en attendant de trouver une place dans un camp" (p. 323)

ben oui, elle va tout de même pas les garder chez elle trop longtemps, ces jolis migrants... Elle atteint brusquement un sommet de cuistrerie en ajoutant (p. 324)
"on ne m'a jamais appelée, peut-être parce que j'avais exclu les hommes..."

En toute naïve bonne fois cette phrase écoeurante résume à merveille la mentalité réelle de ces bobos bisounours de loin.
D'ailleurs, hein, ma brave dame, au vu des "chasses à la nana" provoquées par ces mêmes migrants en gare de Cologne dans la Sylvester-Nacht 2015-2016, notre auteur fut bien avisée de tenir toute la misère du monde loin de son petit monde propret, n'est-il pas ?

Un livre à lire, mais en gardant une bonne distance.

Commenter  J’apprécie          182



Ont apprécié cette critique (9)voir plus




{* *}