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Critique de oblo


En un sens, la Danaé et la Galatée pourraient très bien être les noms de pièces de théâtres classiques. En réalité, ce sont les noms de navires de guerre de la fin du 18ème siècle, mais le lien avec la scène n'est peut-être pas si farfelu. D'abord il y a les planches, qui composent les ponts et l'ensemble des navires ; ensuite, il y a le huis-clos, inhérent à la situation d'un bateau en mer, cette obligation à aller au bout des choses, puisqu'aucune issue n'est à portée. Avec l'intégrale de H.M.S., les pièces s'enchaînent remarquablement grâce à une continuité narrative. Lorsque le rideau tombe - ou plutôt, lorsque la dernière page se tourne - reste l'empreinte d'une bande-dessinée marquée par un très beau graphisme marin et par une identification hybride mêlant genre policier et celui de la bande-dessinée historique.

Si le traitement des personnages - visages, corps, scènes de combat - laisse apparaître de menus défauts, notamment concernant une simplicité excessive des traits et des mouvements, celui de tout ce qui a trait au monde marin doit être salué. le dossier documentaire, à lire avant de se lancer dans l'aventure, donne d'ailleurs à comprendre la réalité parfois terrible du monde de la marine militaire à la fin de l'époque moderne. Prennent vie, au fil des pages, frégates et vaisseaux de lignes, cales et faux-ponts, huniers et mâts de misaine. C'est là l'un des grands points forts de ce livre, que de rendre vivante une époque et un contexte très particuliers, à travers aussi la mode vestimentaire ou encore à travers des payasages urbains qui n'existent plus (Gibraltar, Alexandrie ...). Il est à noter aussi le traitement éblouissant de la mer elle-même. de façon générale, H.M.S. est une bande-dessinée visuellement très intéressante.

Chafouins seront ceux qui tenteront de classer cette bande-dessinée dans un genre précis. Les aventures du docteur Fenton et du gabier Byam sont placées sous le signe des enquêtes policières, l'auteur expliquant que c'était là un moyen original d'aborder le contexte historique de la marine du 18ème siècle. le premier album de la série permet de situer le contexte et les personnages. Fenton, empêtré dans une sombre affaire de meurtre dont il n'est pas responsable, a été capturé par un press gang, chargé de recruter de force des marins pour la Royal Navy. Engagé d'abord comme simple matelot, il fait la connaissance de Byam, qui connaît bien l'équipage et fait preuve de bienveillance à son égard. Bientôt Fenton révèle ses véritables compétences : il est diplômé de médecine. Promu au rang de médecin du navire, Fenton mène ensuite une enquête de fait - sans en être véritablement chargé - pour découvrir, entre autres, le meurtrier de son prédécesseur. La diligence et l'efficacité dont il a fait preuve lui vaudront une reconnaissance des autorités maritimes, qui le chargent ensuite, sous couvert de sa compétence de médecin, d'enquêter sur les affaires louches de la marine britannique. Trafics de perles et disparition d'un officier au coeur d'une révolte dans les Caraïbes agrémenteront les voyages du docteur, en plus d'autres menues aventures.

Il y a donc là une double hybridation de genre. Premièrement, par son contexte historique, H.M.S. se rapporte inévitablement à la bande-dessinée historique, à visée tant divertissante que documentaire ; le dossier en début d'intégrale le prouve assez. Les personnages évoluent dans un contexte réel, et dangereux : que ce soit dans le golfe de Gascogne, en Méditerranée ou dans la mer des Caraïbes, la Royal Navy fait face aux soubresauts d'une France d'abord révolutionnaire, puis impériale. Aboukir et Trafalgar ne sont pas loin. Si la rivalité entre la France et le Royaume-Uni se traduit parfois par des batailles, à grands coups de canons et d'abordages sanglants, elle se révèle parfois sous des formes moins attendues, comme le changement de pavillon de navires capturés. le contexte historique, ce sont aussi ces hommes devenus marins par la force des choses. C'est là une réalité historique très rude que celles de ces hommes qui, parfois pères de familles, furent littéralement enlevées pour servir la couronne britannique sur toutes les mers du monde. Plus rude encore est l'histoire de l'esclavage, abordée dans le dernier album à travers la révolte des Garifunas, qui furent finalement déportés vers les côtes du Honduras par les Britanniques. le Royaume-Uni, comme d'autres puissances coloniales, s'ouvre alors au monde, et s'impose physiquement à lui : ici des sanctuaires mélanésiens sont profanés, là des esclaves sont condamnés à mourir, soit de manière lente par le travail, soit de manière rapide par la torture physique.

Ainsi peut-on évoquer une deuxième hybridation, où H.M.S. ne serait pas simplement une bande-dessinée policière et historique, mais bien un roman graphique noir sous le soleil de la Méditerranée ou sous celui de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. On y retrouve bien les défauts habituels du genre humain, depuis la cupidité (le vol des perles aux femmes du Pacifique) à la violence physique (les meurtres du premier album mais aussi les viols dont les femmes sont victimes, les tortures infligées ici à un officier philanthrope, là à des esclaves qui refusent leur condition) en passant par le mensonge, la lâcheté ou la vilenie (ainsi le négrier qui largue, en pleine mer, les futurs esclaves qui sont dans les cales, au motif qu'ils ne sont qu'une marchandise). A l'opposé, Fenton et Byam portent, eux, des valeurs bienveillantes - mais cela est-il surprenant de la part d'un médecin, chargé du soin des corps ? - et progressistes (abolitionnisme, entre autres), ce qui, parfois, leur donne un caractère quelque peu lisse. En fin de livre, le rideau tombe, la pièce se termine, tragique en bien des points. His Majesty Ship rentre au port, Fenton et Byam continuent leur route et nous aussi, lecteurs, vers de nouvelles contrées littéraires.
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