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Critique de morganex


Je ne me souviens pas de l'année de mes quatre ans. Ni même de celles qui l'ont précédés. Et rien ou peu, de celles qui suivirent, pendant trois ou quatre ans environ. de ce laps de temps ne survivent que des flous artistiques et des incertitudes de situations. Ne subsistent qu'un vide presque global, un trou enveloppé de brouillard, un coup d'éponge sur un tableau noir; rien pour accrocher un passé au portemanteau d'une école maternelle. Je me suis souvent senti orphelin de ces années-là évaporées de ma mémoire. Seules semblaient surnagés certains souvenirs particuliers: ceux greffés par les dires de proches qui se souvenant pour moi, firent remonter à la surface des anecdotes qui me semblent presque des artéfacts.

Et pourtant j'ai grandi, j'ai fais ma vie normalement, je me suis construit au mieux durant ces années primordiales de la petite enfance.

Reste pourtant ce trou mémoriel jamais comblé. Passèrent sous mes yeux ces recueils de mots enfantins, ces entassements souvent réussis de perles dédiées à l'enfance. Souvent drôles jamais explicatives, j'en fus cependant très friand des années durant même si, sur ma faim, souvent.

Ma vie côtoie des petits bouts d'hommes et de femmes, hauts comme trois pommes qui à leur tour peuplent mon âge adulte de mots d'enfants, fruits de logiques inattendues et incompréhensibles. Que se passe t'il dans nos chères têtes blondes à ces instants là ? Je suis, souvent, incapable de répondre.

Quand est passé sous mes yeux un fragment de 4 de couverture attachée à "Une campagne d'Ouvre-monde": "Les mémoires d'un enfant de trois ans, une traversée de "l'immense quatrième année de la vie"", je me suis dis, tiens, çà, c'est pour moi. Dont acte..

Le roman est la quête initiatique d'un bout de choux haut comme trois pommes. David est dans sa quatrième année de vie. le lecteur va le suivre six mois durant. Il filera d'un pas de plus en plus assuré dans sa compréhension du monde qui l'entoure, au fil de ses réussites, de ses expériences et de ses erreurs. Dominique Sels, l'auteure, va le montrer à l'assaut d'une vie, la sienne, qu'il commence à entrevoir en tant que décideur. Fini l'acteur passif quand s'élargit l'horizon au-delà des "pas-ronds" (traduire les parents) et que des interactions nouvelles apparaissent avec l'Ailleurs, la Ville et son métro, la Campagne et ses Animaux, la Maternelle et les Autres....

La structure du roman est très particulière, pour le moins atypique et est, par conséquence, très originale. Cet état en fait sa principale force. Dominique Sels s'essaie avec réussite à être au plus près des pensées, actes, interrogations et paroles de son petit héros. On est très près de la narration à la première personne du singulier. On y serait encore au plus près si l'auteure n'avait pas fait le choix de l'explicatif en parallèle. Mais çà roule très bien comme çà, aussi. Ce que doit comprendre le lecteur passe par un effort d'attention soutenu posée sur des phrases paradoxalement simples. Perdre le fil des raisonnements de David c'est perdre tout le sel d'un récit envahi par l'humour, l'inattendu et le curieux.

Un désir de tout décrypter de ce qu'il voit, sent et touche mène David. Il lui faut croquer dans tout ce qui bouge ou pas, jusqu'à plus faim; dévorer, comprendre, assimiler, ingurgiter, régurgiter au mieux. La Vie, généreuse mais un peu brouillonne, lui a offert un grand sac rempli de milliers de puzzles aux pièces éparpillées, mélangées les unes aux autres, à charge pour lui de faire le tri, d'assembler. Quel boulot, l'erreur est humaine.

A chaque pas en Aventurier s'associent au choix: une réussite et un sourire, une maladresse et un doute, une erreur et une colère, une nouvelle incompréhension et un soupir de désespoir. David agglutine des faits, crée dans la foulée des structures mentales complexes qui tiennent la logique adulte ou qui, brinquebalants, fruits de raisonnements mal équilibrés lui font commettre des "mots d'enfants" hilarants et inattendus. Sa logique tient une route, la sienne; si elle est en accord avec celle adulte qui aide en arrière-plan, c'est l'autoroute; si elle est de bric et de broc c'est le chemin vicinal hasardeux et souvent l'impasse qui génère pleurs et colère. Il tâtonne, commet des erreurs, comprend de travers, assimile logiquement.

Le roman nous fait comprendre pourquoi le monde de l'enfance parait si immense, devient peau de chagrin vu par un adulte. L'enfant le perçoit si plein de "touts intrigants"(un ticket de métro poinçonné) qui ne sont plus que des "riens insignifiants" par exemple beaucoup plus tard. le petit, rêveur et imaginatif, perçoit un invisible que l'adulte cartésien a oublié.

Si j'osais une comparaison: "La campagne de l'Ouvre-monde" me parait être une quête initiatique qui ressemble, de par sa forme, à celles que l'on trouve dans maints récits de science-fiction. le héros avance peu à peu vers un moi en accord avec une situation dont il ne comprend pas tout. L'auteure use ainsi d'une méthode de progression classique en SF. le roman n'est pas SF mais son cheminement et sa progression y ressemblent, fortement.

Excellent voyage en pays d'enfance que celui auquel nous convie l'auteure. J'ai souvent ri, réfléchi et me suis penché sur un passé presque absent de mon existence.

Merci à Dominique Sels, Babelio, Masse Critique et les Ed. de la Chambre au loup pour leur confiance.
Lien : https://laconvergenceparalle..
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