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Critique de Antyryia



Je n'ai vu qu'une fois quelqu'un mourir sous mes yeux.
Il s'agissait de mon grand-père maternel, plongé dans un coma artificiel depuis plusieurs jours.
Curieusement ce jour-là ma mère avait décidé de se rendre à l'hôpital de Lille, alors que ça n'était pas du tout prévu initialement. Ma soeur et moi l'avions accompagnée.
Pendant le trajet, son frère avait laissé un message sur le répondeur pour lui demander de venir d'urgence, que la fin était proche. Elle ne l'écoutera que plus tard.
Nous étions tous là depuis dix minutes à peine quand mon papy a exhalé son dernier souffle. Etaient présents sa femme, ses quatre enfants, et deux de ses petits-enfants.
Une belle mort, non, que de mourir entouré par les siens ?
Mais je n'ai rien vu. Il a fallu qu'on me le dise.
L'instant d'avant son coeur battait et une fraction de seconde après il s'était définitivement arrêté.
Sans que ses traits ne se figent davantage, sans dernier soupir, sans filet de fumée visible représentant son âme en partance pour un nouveau voyage, un nouveau commencement.
Aujourd'hui encore je me demande ce qui a provoqué ce besoin pour ma mère de se rendre au chevet de son père précisément ce jour-là.
Je me demande aussi si par delà le coma, mon grand-père était conscient que toute sa famille était à ses côtés, s'il nous avait attendu pour partir.
Si c'était une simple coïncidence, une inexplicable connexion, ou un évènement qui n'avait rien de rationnel.
"Le surnaturel est parfois une explication ben tentante ... mais ça peut être tellement autre chose."
Et où est-il aujourd'hui ? A-t-il rejoint le grand néant ? Ou a-t-il atteint un monde meilleur conforme à l'idée qu'il se faisait de l'au-delà, lui qui était catholique pratiquant ?

Patrick Senécal a eu cinquante-deux ans en octobre dernier, et avec ce roman très personnel, il a souhaité parler de ses peurs les plus profondes.
Ceux de là-bas a été écrit en partie pour exorciser ses démons, comme un exutoire, une catharsis.
Réveillant nos propres terreurs.
C'est un roman qui évoque le temps qui passe à une vitesse foudroyante, la vieillesse et surtout la mort.
Ce n'est pas un scoop, nous allons tous mourir un jour.
Certaines personnes sont en paix avec cette idée, par croyance, par philosophie ou parce que l'âge leur a fait accepter cette inéluctable conclusion.
"- C'est pas pour rien qu'en vieillissant, on devient magané, malade, invalide. Ca rend le grand départ souhaitable."
Pour d'autres c'est une peur primale. Parce qu'ils croient à l'enfer ou à d'autres souffrances éternelles. Parce que retourner au néant, même si on ne sera plus là pour le voir, est un effacement, une désintégration, qui peut accompagner l'impression de n'avoir rien fait de sa vie.
Pour Victor Bettany, le héros du roman, psychologue au collège d'enseignement général et professionnel de Drummondville, l'angoisse réside surtout dans l'incertitude.
A l'instar probablement de l'auteur, ce qui le terrifie, c'est de ne pas savoir. Si le rideau se ferme définitivement ou si la mort n'ouvre qu'une nouvelle porte. Il ne croit pas au paradis, au bon Dieu barbu, aux licornes et aux arcs-en-ciel dans les nuages. Il ne croit pas vraiment au long tunnel de lumière accueillant qui a été relaté par de nombreuses personnes ayant vécu une expérience de mort imminente, étant donné qu'elles peuvent s'expliquer de façon scientifique.
Mais il voudrait qu'il y ait quelque chose, que tout ne soit pas vain. Il a même assisté à une séance de spiritisme, persuadé pourtant qu'il ne s'agissait que d'une supercherie, juste au cas où. Hélas il n'en retirera aucun espoir en un éventuel au-delà.
"Mais plus je vieillis, plus je pense qu'il y a rien, même si une partie de moi espère qu'il y a quelque chose."

La mort, Victor y a déjà été confronté. Notamment avec la perte brutale de sa compagne.
Elle aussi était terrifiée à l'idée de disparaître, convaincue non seulement que seul le néant l'attendait, mais qu'elle y demeurerait consciente, comme perdue dans des limbes éternelles.
Ses parents, âgés de plus de quatre-vingt dix ans, voient tous deux la grande faucheuse se rapprocher. Et plus particulièrement son père, atteint d'Alzheimer, et placé en CHSLD ( Centre d'Hébergement et de Soins de Longue Durée, l'équivalent de nos EHPAD ).
De plus en plus dépendant, de plus en plus rabougri, de plus en plus malade.
La vie vaut-elle encore d'être vécue lorsqu'elle n'est plus qu'un simulacre ?
"C'est comme ça qu'on finit sa vie ? Après l'avoir menée avec honneur et fierté, on finit tout ratatiné comme un vieil insecte, à chercher son souffle inutilement dans cette déchéance physique et mentale complète ?"
Et si Victor est encore jeune par rapport à ses parents, son angoisse de la mort ne fait que grandir quand il regarde derrière lui et qu'il voit à quelle vitesse le temps est passé.
A quelle point la mort, cette grande inconnue, se rapproche.
Que son temps est compté.
"On a toujours l'impression que c'était hier, peu importe le souvenir."

Dès la fin du second chapitre, Victor sera de nouveau confronté à la mort dans des circonstances qu'il serait criminel de raconter.
J'ai quand même relu deux fois ce passage pour m'assurer que j'avais bien compris la première fois. Je n'en croyais pas mes yeux.
Cet auteur est complètement fou ! Et il sait parfaitement comment inciter le lecteur à plonger en plein cauchemar avec lui.
Le roman comprendra alors deux axes principaux : L'un tourné vers le passé afin de comprendre le déroulé des funestes évènements ( "On est pas dans une enquête classique, je sais pas si t'as remarqué !" ), et l'autre dans le présent qui explore cette fois les conséquences.
La paroi séparant les deux mondes semble être fissurée.
Dans une ambiance rappelant tour à tour Sixième sens, Destination finale, Medium ou même The Walking dead.

Depuis Malphas, Patrick Senécal n'avait plus écrit de romans fantastiques.
S'il y a quelques passages difficiles, l'auteur québecois s'est dans l'ensemble plutôt assagi. Cette fois peu de passages trash, et seulement un peu d'horreur ( on ne se refait pas ! ) à vous glacer le sang.
"L'horreur totale, sans aucun signe d'espoir. L'horreur qui se sait éternelle."
C'est davantage un roman rempli d'émotions, de douleur, de doutes, et de tristesse.
On partage avec Victor ses angoisses et ses incertitudes, qui ne font que prendre de l'ampleur au fil des pages.
"Oui, tout s'accélère, même s'il ne comprend pas encore ce que cela signifie exactement."
On accompagne ce héros en pleine perdition, physique et mentale, au fur et à mesure que s'enchaînent les évènements.
Et c'est aussi un roman rempli de réflexions, non dénué d'un fin rayon lumineux au milieu des ténèbres.
Un livre porteur d'un message particulièrement fort.

Mais c'est bien du Senécal, qui ne se répète jamais d'un roman à l'autre.
L'écrivain a toujours ce formidable talent pour captiver son lecteur de la première à la dernière ligne.
Ceux de là-bas se dévore encore une fois, tant la construction est réfléchie et tant le suspense est omniprésent.
Tant l'imagination de l'auteur repousse les limites du genre fantastique et le renouvelle, parvenant à innover en attaquant sous un angle totalement différent la thématique de l'au-delà.
Bien différente de celle de Bernard Werber et de ses thanatonautes.
Avec un final qui est tout simplement grandiose.

Je ne crois pas avoir déjà lu un roman du Canadien avec autant de références musicales, d'Aznavour à Marilyn Manson en passant par Eric Lapointe, les Rolling Stones, Nick Cave, Pink Floyd ou Bon Jovi.
Mais ça n'est peut-être pas un hasard ?
J'ai d'ailleurs encore enrichi mon dictionnaire d'expressions typiquement québecoises, apprenant que des tounes étaient des chansons.

J'ai quelques infimes réserves qui ne me permettent pas d'attribuer la note maximale, même si ça n'empêche pas l'indétrônable Patrick Senécal d'être ni plus ni moins, toutes nationalités et tous genres confondus, mon auteur de prédilection.
Certaines explications m'ont parues un peu tirées par les cheveux pour y adhérer totalement, et il me reste quelques interrogations sur la nature de certaines hallucinations, ou encore sur ce souvenir qu'il avait depuis sa tendre enfance, avec cette silhouette sombre qui semble venir le sauver de la noyade. A moins qu'il ne s'agisse réellement du médecin le mettant au monde et le libérant du liquide amniotique ?
Pas de quoi bouder mon plaisir dans tous les cas.

Et vous, que pensez-vous qu'il y aura après la fin terrestre ?
Quelle que soit votre vision des choses, ce roman pourrait bouleverser vos croyances ou vos théories.
Personnellement, je ne vois pas pourquoi il y aurait quoi que ce soit de l'autre côté.
Il n'y avait rien avant notre naissance. Pourquoi y aurait-il quelque chose après ?
Nous ne sommes qu'une brève parenthèse émergeant du néant pour y retourner ensuite.

Et pourtant, je parle parfois aux morts qui m'étaient proches.
Au cimetière ou ailleurs.
C'est donc qu'un infime partie de moi espère être entendu.
Et espère que quand ça sera mon heure, moi aussi je pourrai entendre.

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