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Critique de SophiePatchouli


« J'étais ici et personne ne racontera mon histoire. », la griffure sur une pierre du camp de concentration de Bergen-Belsen est sans appel, résignée, désespérée. Trace indélébile d'un passage dans cet « ici » si laid, si violent, preuve irréfutable de l'existence de ce « je » oublié, gage d'un destin. C'était sans compter sur un écrivain qui passerait par là et recueillerait le maigre témoignage comme une inspiration, comme la source de ces « historias marginales », hommage aux anonymes que seuls la résistance et l'engagement relient.
Comme un vieux qui lisait des romans d'amour, Sepùlveda lit ses souvenirs avec connivence, empathie et bienveillance et nous les livre dans une langue simple et chatoyante, un rythme sobre et tranchant, avec une poésie qui fait éclore l'imaginaire de la réalité.
Ces trente cinq nouvelles glorifient la fraternité comme impératrice d'un idéal si bien qu'il écrit, dans Une nuit dans la forêt Aguaruna « pendant que la subtile résistance de la lumière diurne se laisse vaincre amoureusement par les ténèbres » : « Je ne le connais pas mais je sais que cet homme est mon frère. »
L'auteur immergé dans le régime totalitaire de Pinochet, a connu l'exil, l'iniquité, la guerre et porte, ici, la voix de ces hommes et de ces femmes qui ont lutté dans l'ombre pour la dignité, la justice et la liberté.
Recueil kaléidoscopique, ces textes courts, pétris d'humanité, évoquent tour à tour l'urgence écologique, la bravoure des résistants face aux régimes totalitaires, le besoin de préservation des cultures ancestrales, la beauté de la Nature ; en tous cas, le courage de ceux qui se battent « puisqu'il est encore temps »...
Des portraits de révolutionnaires, de poètes, de lieux choisis, d'un chien, puis d'un chat, sont brossés ici avec une puissance nostalgique qui anoblit les humbles et désacralise les grands. Ainsi, Fritz Nieman, autrement dit monsieur Personne, cobaye d'une clinique psychiatrique nazie, Carmen et Maria, les invaincues brune et blonde, otages torturées qui n'ont jamais parlé ou cette ode au « chant unique des baleines » voué à disparaître si l'on n'y prend pas garde.
C'est aussi l'histoire des Cavatoris, marbriers et sculpteurs, instigateurs inconnus de notre admiration pour une muse, un éphèbe signé Michel-ange ou Donatello, ou encore le récit de Rosella la plus belle et de sa chaleureuse Tratorria du marché d'Asti, des Roses d'Atacama, éphémères fleurs du désert, du pays des rennes et des si jolies laponnes...
Le voyage auquel nous convie Luis Sepùlveda, se distille au rythme des éléments, d'un battement de cœur, d'un frémissement de feuille, c'est une aventure naturelle, humaine, instinctive. Depuis le Chili soumis, en passant par la Méditerranée, mer azur encerclée de béton, jusqu'à la froide Patagonie argentine, l'auteur nous invite à porter un œil averti sur le monde, un regard déférent et conscient.
Ouvrez vos cœurs, vous voilà en route pour un voyage immobile aussi captivant que bouleversant !
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