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Critique de alouett


Avril 1975. Les Khmers rouges ont pris le pouvoir au Cambodge. le régime de l'Angkar s'arroge désormais le pouvoir de décider de la vie et de la mort de millions de Cambodgiens.

De 1975 à 1979, les Khmers rouges vont faire régner la terreur. Des déportations massives de populations vers les camps de travail ou les Centres de sécurité ont lieu, les marches forcées font vivre l'enfer aux civils. La liberté est bannie, les écoles sont fermées, les familles sont décimées, il est interdit de rire !

« Sur le chemin de l'exode, les citadins vont découvrir l'autobiographie. Ils allaient devoir raconter leur vie dans les moindres détails… Leurs maigres bien emportés à la hâte seront peu à peu confisqués. Tous devaient gagner les rizières et travailler dur pour remettre le pays sur pieds. Dans le même temps, les Khmers rouges se retirèrent de la Communauté internationale. Il n'y eut plus aucune liaison avec le monde extérieur. le pays se refermait sur lui-même volontairement. Cet isolement, les Cambodgiens allaient devoir le subir aussi au quotidien. Tout était devenu interdit : l'argent, la religion, les fêtes, le rire, la musique… Tous les jours devaient être consacrés au travail et à rien d'autre » (L'eau et la terre, avril 1975).

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Séra rend hommage à ces hommes, femmes et enfants qui ont été meurtris dans leurs corps et dans leurs âmes. L'album s'ouvre sur une magnifique illustration qui dépeint des palmiers à sucre. Une voix-off s'installe, « Nous sommes en pays khmer, il y a cinq mille ans, ces terres n'existaient pas. Elles étaient entièrement recouvertes par la mer. Selon la légende, les premiers habitants étaient des Nâgas, des serpents mythiques. Pour le reste du monde, le Cambodge était le Pays du Sourire ». de sourire, nous n'en verrons pas dans cet ouvrage… exceptés ceux que les êtres qui peuplent ce récit ont vécus par procuration grâce à quelques billets de Riels (ancienne monnaie cambodgienne) que l'on cache comme des trésors.

Les couleurs de l'album nous y préparent avant même que la lecture ne commence. Les gris et les sépias sont les porte-paroles des deux principaux protagonistes de ce travail de mémoire : la Peur et la Mort. Ces entités invisibles s'imposent avant même que quelques civils cambodgiens se démarquent dans le récit. Des individus semblables à des fantômes tant ils sont dépossédés d'eux-mêmes, tétanisés par la violence quotidienne qui les enserre. Contraints d'accepter cette loi du plus fort, ils s'effacent pour survivre.

Il est peu fait référence au positionnement de la Communauté internationale face à ce génocide. Tout au plus, un ou deux passages y font référence mais sans aucun jugement de valeur. Il n'en reste pas moins que le silence des autres nations face à ce drame fait réfléchir. L'Occident a laissé la population cambodgienne aux mains de ses bourreaux pendant quatre années…

Phoussera Ing (son nom complet) est né au Cambodge en juin 1961. Il quitte son pays natal en 1975 pour la France et réside encore aujourd'hui à Paris (…). En 2005, il revient avec un récit réel et poignant sur le pays de son enfance peut-on lire sur Bedetheque.

On perçoit rapidement le positionnement de l'auteur pour les cambodgiens mais ce parti pris ne s'impose pas au lecteur ; sa motivation semble n'être nourrie que par la volonté de rendre hommage à son peuple sans avoir à dénigrer quiconque.

Aucun pathos dans le traitement du sujet, l'auteur ne semble pas rechercher des réactions extrêmes (pitié, indignation) chez le lecteur. Il refuse de juger ouvertement les actes qui ont été commis durant le régime de l'Angkar. Il est passeur de témoignages et sa neutralité est assez déroutante. En effet, les propos contenus dans cet album nous permettent d'accéder aux témoignages et au quotidien des civils comme à ceux des soldats Khmers rouges. Il me semble que Séra a su trouver un équilibre narratif percutant.

Ce serait une grave erreur de ne pas parler de la qualité du travail d'illustration de l'auteur. Les propos n'hésitent d'ailleurs pas à s'effacer à de nombreuses reprises, laissant le lecteur seul face à des visuels d'une grande force. A ce sujet, l'auteur explique dans une interview « Là, c'est ma fibre cambodgienne qui parle. le silence est parfois plus parlant que les bavardages longs et inutiles. L'Eau et la Terre est un ensemble de fragments de vie » (source : Auracan). Tout est en retenue, tout est silencieux. le dessin réaliste de Séra nous saisit. L'utilisation de photographies retouchées vient régulièrement compléter les dessins. Il n'y a pas d'étalage de violence, pas de scènes chocs, les choses sont abordées avec pudeur.
Lien : http://chezmo.wordpress.com/..
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