AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"tressli bessli nebogen leila
flusch kata
ballubasch
zack hitti zopp [...]"
(Hugo Ball, poème dadaïste "Seepferdchen und Flugfische")

Guten Tag, famille littéraire !
Voici l'un de ces livres qui traversent votre tête comme une tempête de neige, en vous laissant rêveur face à la page blanche. Je commence donc par ce poème d'Hugo Ball, en espérant que l'inspiration suivra...
Comme son nom le laisse aisément deviner, Hugo Ball était destiné à une carrière sportive au sein de FC Pirmasens, mais l'appel sauvage du mouvement Dada fut le plus fort. Ce qui ne l'a pas empêché de donner occasionnellement un grand coup de pied dans la poésie, tandis que son ami Walter Serner, l'auteur du présent ouvrage, bottait avec le même enthousiasme toute la culture officielle de l'époque. "Je suis en principe contre les principes !" : tel était le credo des dadaïstes, formulé par leur grand prêtre Tristan Tzara.
"Dernier relâchement" est donc principalement sans principe.
Serner écrivait à la pleine lune, dans un tipi en jade, où il se rendait de préférence dans une brouette cousue de peaux d'âne et d'yeux de cobra. En écrivant, il mangeait des knödel fourrés à la cervelle de rhinocéros et buvait du sang de vampire. L'expérience a eu pour résultat cet excellent manifeste Dada, écrit deux ans avant celui de Tzara (et qui a beaucoup influencé ce dernier). Dans ses instants les plus téméraires, sa lecture peut être comparée à la sensation qu'on éprouve sur les toilettes à 3 heures du matin, quand on essaie de déchiffrer, dans un état second, le mode d'emploi du Canard WC en hongrois. Hélas, le manifeste de Tzara éclipsa largement celui de Serner, ce qui a mené à sa rupture avec les dadaïstes. Il va retravailler son texte, pour le publier à nouveau en 1927, avec le sous-titre "Un bréviaire pratique pour les escrocs et ceux qui veulent le devenir", et le mot "Dada" y sera systématiquement remplacé par le mot "rasta". Pour des raisons qui m'échappent, je trouve cela très plaisant...

"Ne parle pas trop souvent de manière cynique. Sois-le toujours", conseille Serner à son lecteur rastaquouèresque, en partant de l'hypothèse que dans le monde des escrocs, le seul moyen pour réussir est de riposter par leurs propres armes.
Place à la lecture :
"Après chaque fragment, on fera une pause de trois minutes, on boira un peu et on fumera. À l'issue de chacun des six chapitres, on posera le livre cinq minutes et l'on regardera au plafond".
Je n'ai pas de mots...



.
(ceci pour montrer à quel POINT je n'avais pas de mots).
Cependant, en suivant la consigne de la consommation des liqueurs et de la contemplation du plafond, les idées se remettent doucement en place. Sur l'immensité blanche du plafond apparaîtra tôt ou tard le dino-train conduit par Erasme de Rotterdam, et avec un peu de chance, ses gestes frénétiques à l'intention du lecteur en quête du "relâchement" seront bien interprétés.

Walter Serner était une sorte d'"enfant terrible" même parmi les dadaïstes. Dans ces 672 paragraphes nihilistes, sardoniques, et passionnément contestataires, il fait une critique corrosive de la fausseté des conventions sociales et de toutes les valeurs et jugements esthétiques officiels. Il accuse toute forme d'expression artistique de mensonge et d'insuffisance, en qualifiant la "Kultur" européenne de son époque de produit d'ennui, d'arnaque, d'hâblerie ou d'un snobisme prétentieux. Contrairement aux autres manifestes produits par divers courants avant-gardistes après la Grande Guerre, Serner ne formule aucun nouveau credo esthétique, ne montre aucune direction - au contraire, il se contredit intentionnellement et s'ironise souvent lui-même.
Ce charmant baratin (compliment) prête au rictus (de satisfaction), mais il nous dévoile aussi la frustration et la profonde désillusion cachées derrière le jeu dadaïste. En quelque sorte, il n'est pas sans rappeler le formidable "Conte du tonneau" de Swift.

"Le monde veut être trompé, c'est certain. D'ailleurs, il deviendra sérieusement méchant, si tu ne le fais pas", prévient Serner. Apprenons donc à escroquer les escrocs grâce à ce spirituel manuel ! L'Art est mort, vive le Rasta !
Pour conclure :
"Dans tous les cas, on appliquera avec la plus grande exactitude ce qu'on vient de lire dans la mesure où ceci est parallèle à la pratique du moment. On ne sera pas seulement ébloui du succès, on sera... On sera ! Teremtete !
Et dès lors : "Bonne nuit et bonne chance !"

Bonne chance ! Je recommande de lire une phrase par semaine en consultant furieusement les notes en marge, le livre prendra alors tout son sens. 4/5. En réalité j'aurais pu donner 5/5, mais je commence déjà à embrasser la voie...
Commenter  J’apprécie          5935



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}