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Critique de CharlotteJ


Sur QUATRE SANS QUATRE

Son destin s'éclaire sous le fard !

Costa est un putain d'acteur, il en est intimement convaincu, le roi du maquillage, des accents au ton si naturel qu'ils en deviennent plus vrai que vrai, il peut tout incarner, même les pires contre-emplois. Lui, le type ouvert et sympa peut parfaitement jouer un tueur à gages impitoyable, parano, au professionnalisme parfait comme personne, il l'assure à son ami Jean-Louis au cours d'un déjeuner bien arrosé. Un postiche, du fard, un faux nez et le voilà dans la peau d'un exécuteur. Il gâche son temps à courir les petits cachets pour un pub insipide ou un doublage voix, noie ses espoirs de gloire dans l'alcool et la forfanterie. Jean-Louis fera les dialogues, Costa jouera.

Mais tout ça, c'est une blague un peu sinistre, une mascarade poussée pour se payer la tête d'un quidam qui n'a pas très bien traité son copain. Il lui a refusé un manuscrit sur lequel il travaillait depuis des mois sous des prétextes que Jean-Louis estime fallacieux. Costa n'est pas débordé par les contrats, acteur loser, il passe plus de temps à attendre les apparitions furtives à l'écran et les auditions stériles qu'à faire son métier d'acteur. La cinquantaine plus qu'entamée, son heure est passée, elle ne reviendra pas. Il se sent lésé par un système qui ne lui a pas donné sa chance, un rôle à sa mesure où il aurait pu laisser libre cours à son talent et éblouir les foules.

Il s'y accroche, Costa, à ce personnage de Hank van der Weld, assassin professionnel batave, il le peaufine, le bosse sans relâche, seul chez lui, alors que son épouse travaille. Il ajoute un détail, améliore l'accent, l'orne de mots hollandais et fait disparaître le visage de Constantin Lepage sous les artifices en latex et les crèmes. Peu à peu, il devient Hank van der Weld, un homme qui a réussi dans sa branche, pas un raté, un mec qu'on respecte et qui en impose, pas un saltimbanque dont tout le monde rit avec commisération lorsqu'il a le dos tourné.

Hank van der Weld est une telle réussite que Costa lui-même peine à distinguer les limites de son personnage de celles de sa propre personnalité. Qui a mangé qui ? Costa a-t-il digéré Hank ou l'inverse ? Peu importe, finalement le résultat est le même : le maître est phagocyté par son chef d'oeuvre. Très vite, il ne sait plus lui-même s'il est l'un ou l'autre. Il alterne entre les deux personnalités, pris dans un engrenage infernal dont il ne contrôle plus la marche. Quelle part de lui a souhaité tout ce qui va suivre ? Quelle part le refuse ?

Philippe Setbon aime les tueurs, il se glisse dans leurs peaux avec délice. Après l'impeccable Monsieur Faux qui investissait la vie de Wilfried Bodard dans son précédent roman (Les gens comme Monsieur Faux - Éditions du Caïman - septembre 2017), c'est à l'intérieur même de son personnage principal que cette “invasion” se produit. Il décrit avec minutie cette bascule, ce moment presque magique où l'acteur n'interprète plus mais incarne entièrement son rôle, se fond dans l'être qu'il doit jouer. L'instant de grâce auquel on reconnaît les grands artistes. Ceux-là enchaînent les personnages, passent de l'un à l'autre, planning surchargé et engagements à répétition, Costa, lui, sait qu'il n'y aura pas d'autre rôle à sa mesure, que ce Henk est celui de sa vie, impossible de l'abandonner, il n'y en aura plus jamais qui lui iront si bien. C'est en tueur hollandais qu'il va laisser à jamais l'empreinte de son immense talent, les dommages collatéraux, les victimes de Henk ne font pas le poids pour l'arrêter.

Poussé toujours plus loin par une suite de circonstances imprévisibles, Costa s'enfonce, perd pied jusqu'à l'absurde. Les événements le dépassent, sa lutte contre Henk le déboussole, le “public” en redemande, il ne peut se dérober mais contrôle de moins en moins la situation. Sa morale et son intégrité luttent désespérément contre l'intransigeance du criminel qu'il abrite. C'est Dr Jekyll et Mr Hyde personnifié, nul besoin de drogue magique, seul le défi à son talent et son ego l'animent.

Avec son écriture toujours aussi savoureuse et son superbe style, Philippe Setbon nous fait partager presque minute par minute, la métamorphose de Costa, le narrateur. Ses peurs, ses hésitations, ses résolutions qu'il ne peut tenir et, a fortiori, la détermination et l'assurance de Henk, ses meurtres, son sang froid à toute éprueve. le lecteur assiste aux premières loges à ce combat d'anthologie entre l'acteur et son personnage, son angoisse va crescendo comme celle de Costa dans un suspense qui ne cédera qu'à la toute dernière ligne. Tragique, sous son ton badin, ce roman est passionnant de bout en bout.

À quel moment Constantin Lepage va-t-il enlever le masque et saluer son public ?
Lien : http://quatresansquatre.com/..
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