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Critique de Kathana


Christophe Siébert poursuit son exaltante bien que sombre saga polymorphe avec Volna, 6e roman du cycle dédié depuis 2020 à la mégalopole fictive Mertvecgorod, toutes maisons d'édition confondues – le premier chez Mu puisque situé entièrement dans un futur proche « après le black-out », trois Au diable vauvert, un chez Gore des Alpes, un chez Zone 52, tous lisibles indépendamment.
Volna, roman assez court et violent, se déroule donc toujours dans ce Pandémonium post-soviétique dont le ciel plombé déteint sur une population pour partie condamnée à l'ennui, qui survit dans sa routine à coups de drogues diverses au quotidien (l'équivalent de « nos » antidépresseurs tolérés en somme), mais cette fois en 2033. Ces vies en sursis convergeront néanmoins dans un sursaut vers une quête soudaine. Et c'est à flux tendu que le lecteur suivra cette course-poursuite éperdue, à travers un récit ultra rythmé aussi cru que poétique, porté par une écriture fluide et percutante.

En 2033, sous cette chape de suie, les lendemains sont tellement peu désirables et similaires qu'ils existent à peine. Chacun n'écoute donc que ses pulsions. N'obéit qu'au rythme de ses obligations contractuelles. S'abrutit dans ses perversions, ses addictions, sa rage, son travail répétitif. Dans l'attente d'un micro-évènement qui, au pire, viendrait rendre moins pire la douleur physique, morale. Au mieux, donnerait un sens à son existence minuscule. Beaucoup sont poursuivis par des fantômes (Alina, croisée dans un des plus beaux chapitres d'Images de la fin du monde, ici figure radicale d'un romantisme noir absolu, face à son deuil ; Roman et sa vision striée de lianes noires – trouvaille formidable pour métaphoriser un quotidien lacéré par des excès, par la vacuité, par une sortie de route). Estiment avoir des choses à réparer, à venger (Alina qui se voit en « vague scélérate s'abattant au ralenti sur l'humanité entière »).

Tous sont embourbés ou presque. Ensevelis vivants en apparence, à l'image de certains saints qui partageaient avec eux la solitude et le statut de « bêtes sauvages ». À l'image du capucin (le singe, pas le religieux cette fois) inerte sans sa carte SIM (toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence – les résonances sont souvent assourdissantes). Comme si toute limite ou tout repère avait disparu dans cette ville-forteresse noire maudite…
Niveau sauvagerie, égoïsme ou lâcheté, les personnages masculins s'illustrent d'ailleurs en particulier (sauf un, loyal envers un ami décédé). Puisqu'il s'agit soit d'hommes sans scrupule, obsédés par la violence physique (Anton et ses sbires), sexuelle (Méliadus, vampire drogué au pouvoir, à la chair et au sang), pervers (amateurs ventripotents de jeunes filles), soit de « chiffes molles » (Roman). Habités par de petites vengeances égotiques virilistes minables (ou, exception, par la honte) ou des velléités de soumission et d'oppression.

Là où au contraire les femmes sont portées par des braises intérieures qui ne demandent qu'à être ravivées par des desseins de plus grande envergure : Catherina qui d'une vie sans relief devient héroïne, meneuse ; Alina, même si obsédée par la vengeance, qui considère l'éventualité de recommencer à vivre, puis de faire exploser la vérité ; Lily la hackeuse…
Qu'elles cherchent à sauver leur peau ou celles des autres, passer un message, ces femmes combattent à leur façon. Qu'elles soient socialement invisibles ou peu déterminées au départ, Siébert fait surgir leur majesté, même si d'autres restent prisonnières de leur condition systémique d'objet (Feminicid paru en 2021, moins romanesque dans sa forme, plus ardu dans sa structure, néanmoins très fort et d'une noirceur qui vous colle aux doigts des mois durant, se pose là comme enquête ouverte sur l'abomination qui lui donne son titre).
Mais Siébert ne pontifie pas : il dissémine, suggère, interroge et nuance toujours avec sa langue aussi précise que subtile, et parvient à parsemer de rares éclats lumineux cette fange nihiliste où les soubresauts d'humanité et d'espoir pointent avec d'autant plus de puissance voire de beauté.
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