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Critique de twilight_flower


Le recueil de Frontière se lit – se vit – comme une course effrénée, un élan, une impulsion. C'est le délice douloureux du corps poussé à bout, des souffles de forge depuis des poumons en feu et de la tension dans les muscles. La frénésie, l'urgence, l'obsession. Une mission qui enflamme toutes les passions. Une chimère folle au goût d'absolu, un désir souverain qui justifie tout. Une telle volonté ne peut que donner naissance qu'à des individualités trop fortes pour accepter les compromis, des individualités trop entières pour ne pas être vraies, dans tous les sens possibles.
Ainsi sont-ils. Mus par une poussée unique, une même révolte, une cause partagée. Ils refusent l'oppression, sans concession aucune, et s'en vont en croisade avec des chants de guerre, réunis dans une clameur unique. Sans plus de regard en arrière, faisant face à l'avenir, leur fierté comme une couronne sur leurs têtes hautes. Vifs comme des couteaux, aussi éblouissants que la lumière sur les lames sorties de leur fourreau, et tout aussi meurtriers : les regards sont acérés, les gestes sont incisifs et les paroles tranchantes. Les mots du recueil ne sont qu'une arme supplémentaire mise à leur contribution ; chaque phrase est aiguisée et ne laisse de place qu'à l'émotion mise à nue, qu'à une sensibilité à fleur de peau. A quelque chose d'instinctif et de primal, de primordial en nous. Nulle pitié ici, non, jamais. Mais une juste colère, qui vient alimenter leur feu. Dents et poings serrés, on se lève, on les rejoint. Courant avec la meute. Pour combattre pour nos droits, pour défendre nos rêves.

Et tout défile dans cette ruée éperdue : les rails à la symétrie fascinante et la toile qu'elles tissent, les routes perdues et poussiéreuses brûlant sous le soleil, les allées enfumées des villes-labyrinthes. Faisant fi des barrages des voitures de police, des murs des prisons, des entraves de fer. Sur un même rythme, que l'on soit proie ou chasseur. de page en page, de foulée en foulée, de vie en vie. A travers le feu et l'eau, à travers les yeux des Fay et des « reg(ular)s », à travers son propre reflet et le miroir de l'autre – deux à deux, toujours, parce que c'est par la confrontation – la différence – que les choses se révèlent. Car c'est aussi cela, Frontière : des histoires de liens. Ceux que l'on tisse, ceux qui nous enchainent. Ténus parfois peut-être, mais d'une force invisible résistant jusqu'au Temps. Les fils d'Ariadne dans les dédales de nos vies, les trames des destinées enchevêtrées. le fil (le cheveu) pour recoudre la plaie, qu'elle soit sur le corps ou dans l'âme. La loyauté, donc, et son prix. L'acte de foi. L'abandon. Être capable de tout donner et risquer de tout perdre, parce qu'il y a bien plus encore à gagner : la liberté, la réponse à son existence et l'amour, sous toutes ses formes. Et la Féérie est là. Sur la peau, sous la peau (l'aiguille, le tatouage, son motif). Dans les coeurs. Elle est bien là. Elle s'exprime simplement à l'intérieur, dans le langage silencieux qui est le sien, flocons de neige au mitan de l'été.
« Ce qui fait de nous des frères, ce n'est ni le sang versé, ni le sang partagé. C'est l'amour. Tu ne le savais pas ? » (Runaway Train, p.28)

A bout de souffle, à bout de course, il convient peut-être de s'arrêter un court instant. le temps de perdre et de retrouver tout à la fois sa respiration, de laisser l'oxygène se frayer un chemin et de tout emplir. de sortir la tête de l'eau lorsque les poumons n'en peuvent plus et brûlent de tout ce vide quand le coeur éclate sous tout ce plein. de savourer sa fatigue et sa faiblesse. Ca gonfle à faire mal, empêchant l'air de passer par une gorge nouée, oppressé sous tout ce qui n'a jamais été dit, sous tout ce qui a dû être ravalé par trop de fois.
Frontier. Que l'on n'ose toucher du bout des doigts, en une caresse évanescente, amoureuse. Une offre absurde et pourtant si simple, de celle à laquelle on n'osait plus croire tant les espoirs portés sont grands - lourds de sentiments refoulés, d'une force violente qui tournait et retournait. La réponse aux prières muettes formulées dans nos rêves. L'invitation à un Ailleurs et à toutes ces choses auxquelles on n'a jamais vraiment su renoncer dans le secret de notre âme. Comme une justification toujours attendue, une confirmation, une reconnaissance.
Les épaules tombantes, l'on croit alors lâcher un soupir de soulagement et c'est avec stupéfaction que montent à nos oreilles le lied d'un sanglot étranglé.
« Quand tu es là, je me sens comme une gosse. Et ça fait mal, Blue, ça fait mal. Ces temps sont loin. Laissons-les reposer en paix.
— Ils ne peuvent pas être en paix. Ils sont vivants là-dessous.
[...] Et moi aussi, petit frère, moi aussi je suis toujours vivante là-dessous ; qui aurait pu le croire ? » (Faire surface, p.66)
La reconnaissance, oui. de tout ce qui a été vécu. de la source de nos joies et de la morsure de nos souffrances. Enfin.

Frontier et ses fay.
Frémissements à la surface de l'eau vive de nos âmes tenues au silence.
Echo de quelque chose qui se brise à l'intérieur de nous.
Beauté ineffable, dont la contemplation seule est une brûlure ; une chaleur propre à faire fondre la glace qui emprisonne nos coeurs engourdis par le froid. C'est là que git l'invitation, que retentit l'appel, que monte l'adrénaline. Les battements indiquent le chemin de retour, la route à suivre pour rentrer. Rappelle à notre souvenir qui nous sommes, ce à quoi nous aspirons. Nous rend à nous-mêmes.
Alors nous éclatons de rire. Pris de vertige, ravagés, désespérés presque. Pris de fièvre, ivres de leur vin des rêves. Un besoin irrépressible se met à courir dans tout notre corps, à travers les sentiers de nos veines, plus fort à chaque page - à chaque pulsation. Une soif impossible, une extase lancinante, une exaltation impérieuse. Une douleur tellement pure qu'elle en devient un plaisir.
Nous sommes là, au bord du monde, à la limite de tout. le souffle court, prisonnier. La voix, perdue à jamais. Les yeux immenses, noyés de larmes dérisoires, irrépressibles. Renaissant à cette vision difficile à endurer, sous un nouveau nom, lavés de tout, libres. Libres et entiers.
Et nous nous élançons.
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