En attendant, elle continua de lire ses romans de science-fiction, car, plus que jamais, ils lui semblaient refléter sa prise de conscience de l'étrangeté fondamentale du monde. Peu à peu, elle finit par comprendre que ces contes tentaient de lui communiquer d'une façon alambiquée une vérité fondamentale, qu'ils étaient tous rédigés dans une sorte de code, conçu pour tromper les snobs littéraires et égarer les lecteurs distraits.
Cher Dieu miséricordieux et compatissant, je me tiens devant ton prodigieux univers, empli d’émerveillement ; aide-moi, pauvre mortel que je suis, à élever mon regard au-dessus des sordides mesquineries de la vie quotidienne, des luttes et des querelles de cette médiocre humanité… Aide-moi à voir la beauté de ton œuvre, de la fleur rouge épanouie du fromager à l’exquise grâce mathématique par laquelle tu as créé d’innombrables univers dans l’espace que l’homme foule d’un pas. Je sais à présent que mon but en ce triste monde est de contempler ta magnificence en toute humilité et de chanter tes louanges jusqu’à mon dernier souffle…
Je me suis souvent interrogé sur le rôle du savoir et de l’expérience, d’une part, et, de l’autre, de l’imagination et de l’intuition, dans le processus de découverte. Je crois à l’existence d’un conflit fondamental entre les deux, je crois que le savoir, en prêchant la prudence, tend à inhiber le pouvoir de l’imagination. Par conséquent, une certaine naïveté, dégagée du fardeau de la sagesse conventionnelle, peut parfois apparaître comme une qualité positive.
HARISH-CHANDRA, mathématicien indien (1923-1983)
« Dites-moi, Om Prakash, est-ce que je suis un simple fil dans une toile ? Est-ce que j’ai le choix d’agir comme je le fais ou est-ce que je répète les lignes écrites par un autre ? — Vous pouvez choisir de me casser un bras, monsieur, et nul ne pourra vous arrêter. Vous pouvez choisir de vous jeter dans la Yamuna. Quoi que vous fassiez, cela affectera le monde de quelque façon. Tantôt l’effet demeure minuscule, tantôt il croît et croît encore comme un figuier des pagodes. Ce que nous appelons la causalité n’est qu’un effet du premier ordre. Les boucles causales du second ordre sautent d’un temps à l’autre, comme dans vos visions, monsieur. Le futur, dit le pandit, n’est ni déterminé ni indéterminé. »
Nous ne leur prédisons pas l’avenir, car l’avenir nous dépasse, sahib. Nous leur disons pourquoi ils ont besoin de vivre.
Même au sein de la grande marée d’humanité qui déferlait sur les trottoirs, parmi les fonctionnaires affairés et les étudiants rivés à leur téléphone portable, ou dans les ombres des gratte-ciel et des résidences de luxe, elle sentait les affamés et les oubliés, leur masse et leur multitude, pareils à des cancrelats dans les fissures et les interstices de cette ville nouvelle et déjà vieille.
La perspective d’une longue journée se présentait à elle, riche d’impossibilités : cuisiner tout ce qui devait l’être, nettoyer toute la maison, divertir les collègues de Vikas et leur famille sans faire de faux pas… C’était tout simplement inconcevable. Elle n’était pas faite pour cela — elle venait d’une autre planète, d’un monde où on dansait avec les arbres, dévorait des parathas et lisait des romans de science-fiction à quatre sous.
Mais il fallait le faire.