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Critique de Antyryia



En 1990, Iron Maiden sortait son album No prayer for the dying dans lequel Bruce Dickinson entonnait le refrain suivant :
Bring your daughter ... Bring your daughter... To the slaughter ...
Cette chanson, c'est mon premier souvenir du mot "slaughter", signifiant massacre, tuerie, carnage.
Mot davantage intrigant encore quand il s'agit du nom de plume d'une femme auteur de thrillers, comme si d'emblée elle prévenait de leur violence.

En 2001, Karin Slaughter publiait en effet son premier roman intitulé Mort aveugle, le premier des six volumes de la série Grant County dans lequel on faisait notamment la connaissance de la pédiatre et médecin légiste Sara Linton ou celui des policiers Lena et Jeffrey Tolliver.
En 2006, elle inaugurera une nouvelle série avec le personnage de Will Trent et écrira Triptyque. Au fond des bois est le septième avec ce héros récurrent.
 J'avais envie de découvrir cet auteur à la réputation internationale depuis longtemps, et c'est désormais chose faîte grâce à Babelio et aux éditions Harper Collins noir, que je remercie. D'autant plus que ça a été un agréable moment de lecture.

Je vais commencer par le seul point négatif : j'ai eu l'impression de prendre le train en marche. Ca ne nuit aucunement à la compréhension des évènements mais dans ce tome, nous rencontrons aussi bien des protagonistes des séries "Grant County" ou "Will Trent" et avec douze tomes de retard, forcément, certains protagonistes ont déjà un lourd passif. Celui-ci est par ailleurs bien expliqué : on connaît les grandes lignes de leurs vies respectives, leurs blessures ou les tragédies qu'ils ont endurées. Mais je regrette de n'avoir pas été à leurs côtés lors de leurs rencontres, de leurs traumatismes, dans les volets précédents. Parce que oui, Karin Slaughter est à peu près aussi tendre avec ses personnages que Franck Thilliez l'est avec son duo Sharko / Hennebelle. Et même si chaque livre contient sa propre enquête, on lit aussi ces séries policières pour suivre les vies de tous ses personnages. Ne pas respecter l'ordre enlève une partie à l'intérêt de leurs histoires plus personnelles.
Je concluerais donc provisoirement en disant que oui, l'Américaine vaut le détour, mais que le plaisir de lecture sera probablement plus grand si on est déjà familier avec les ( nombreux ) personnages et commencer par le dernier en date en révélera trop pour ne pas au moins gâcher un peu le plaisir ultérieur de la découverte des précédents.

Le roman commence par un chapitre exceptionnel, chargé tant en informations qu'en intensité : Lena, personnage récurrent donc, est enfin chez elle après un interrogatoire des affaires internes. le lecteur apprend d'emblée qu'elle a subi récemment une fausse couche et que la situation avec son jeune époux Jared, flic moins gradé qu'elle, est particulièrement tendue ( "Même leurs flingues, ils ne voulaient pas qu'ils se touchent" ). Au moment où ils se rapprochent enfin deux individus armés font irruption dans leur maison pour les abattre. Jared est grièvement touché, Lena passe en mode furie sanguinaire et massacre un premier intrus. Quand viendra le tour du second, un troisième individu intervient pour l'empêcher de briser la colonne vertébrale d'un homme à terre. Il s'agit de Will Trent, qui travaille sous couverture.
A partie de là, le roman prendra deux directions. La première est chronologique et nous fera vivre les évènements principalement au travers des yeux de Will et ceux de Sara Linton, responsable du service pédiatrie à l'hôpital public d'Atlanta : leur histoire de couple complexe, l'hospitalisation de Jared et la mission d'infiltration de Will qui cherche avec sa hiérarchie à démanteler un immense réseau de drogue, de proxénétisme et de pédophilie dirigé par l'insaisissable Big Whitley dont on ne connaît que le surnom et les précédentes exactions dans d'autres états.
L'autre direction est l'une des originalités du livre puisque elle va aller à rebours. Autour du personnage de Lena cette fois, l'histoire va progressivement reculer de jours en jours et le lecteur découvrira progressivement l'antériorité de l'agression : le raid qui ne s'est pas déroulé comme prévu et qui a valu à Lena un interrogatoire, la fausse couche, les raisons pour lesquelles un contrat a été mis sur leurs têtes.
Les 470 pages se déroulent dans un laps de temps très court et permettent de progressivement reconstituer toute l'intrigue avec les indices passés ou présents, menant tant vers les causes du drame d'ouverture que vers l'identification du croque-mitaine qu'il faut débusquer ou ce qui s'est réellement passé le jour du raid, le tout entrecoupé de passages davantage liés au passé et à l'évolution de tous les personnages.

L'écriture est très agréable, mais aussi incisive et sans concession. Karin Slaughter ne verse pas dans l'hémoglobine gratuite ( "tandis que le sang jaillissait autour de lui en projections écarlates qui évoquaient les flocons d'une boule à neige de cauchemar." ) mais elle n'écrit pas non plus avec une excessive pudeur et appelle un chat un chat. La seule touche d'humour figure dans les remerciements.
Le roman est excessivement documenté d'ailleurs et me paraît très réaliste, que ce soit dans le domaine médical ou policier. Que ce soit les guerres entre services ou la métamorphose de Will Trent en délinquant notoire pour se rapprocher des seconds couteaux du fameux Big Whitley, l'immersion dans le trafic de stupéfiants ( des médicaments à l'héroïne ) et d'êtres humains est totale et crédible. En outre, la psychologie des personnages n'est pas non plus en reste et est très travaillée, ce qui permet d'alterner des séquences actions, réflexions et émotions avec le même succès.

Durant ma lecture, une multitude de séries télévisées américaines m'ont traversé l'esprit. D'autres internautes avaient fait le rapprochement entre de précédents romans de Karin Slaughter et Esprits criminels, et même s'il ne s'agit pas ici d'un tueur en série à arrêter ni de profilers, c'est vrai qu'on y pense notamment lors des réunions où le GBI ( Georgia Bureau of Investigation ) et la police locale partagent difficilement leurs informations.
Egalement, l'auteur elle même évoque différents programmes :
-"Tout ce qu'il connaissait de la Floride, il l'avait appris sur Wikipédia et dans Deux flics à Miami."
-"Mais le plus difficile à croire, c'était que l'argot que Will avait pompé sur le câble dans une série sur un gang de motards fonctionnait vraiment." fait probablement référence à Sons of Anarchy.
J'ai aussi pensé à The Shield pour la corruption qui régne dans les services de police, à Sur Ecoute pour sa plongée dans l'univers sans concession de la drogue et même à Dexter pour l'analyse des projections de sang ( "Les motifs des traînées de sang séché sur les murs et le plafond auraient pu faire l'objet d'un manuel scientifique." )

L'univers de Karin Slaughter, c'est donc un peu tout ça à la fois mais avec davantage de réalisme. Ses protagonistes sont des personnages forts, parfois ambiguës ( principalement Lena ) ou torturés ( au sens propre comme au figuré ). Son écriture nerveuse nous fait passer par toutes sortes de palettes émotionnelles, sans excès de pathos. En outre, l'intrigue est méticuleusement tissée, tout comme le sont les liens professionnels ou familiaux reliant les individus entre eux.
Assurément un auteur à découvrir, mais pas forcément avec ce roman précis en raison d'une antériorité dont vous pourriez vous priver par la même occasion.


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