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Critique de YvesParis


Deux types de discours coexistent trop souvent sur l'Afrique. D'un côté les béni-oui-oui du développement proclament leur foi inentamée dans les potentialités de l'Afrique. Appelant à notre bon coeur et à notre portefeuille, ils soulignent l'urgence de l'aide, qu'elle soit gouvernementale ou humanitaire, et revendiquent l'accession du continent noir à une universalité à la fois démocratique et économique. de l'autre les « réalistes » soulignent à l'envi les mille fléaux qui se sont abattus sur l'Afrique subsaharienne : guerres civiles, effondrement de l'Etat, corruption généralisée, sida … L'Afrique serait hantée par ses « vieux démons » et l'aider ne servirait à rien. Tout en en contenant les débordements migratoires et terroristes, il faut laisser le libre-jeu du marché assurer, comme il le fait déjà, l'intégration africaine à l'ordre mondial.
Stephen Smith cherche à sortir de cette opposition stérile en se plaçant du point de vue des Africains. La question n'est pas de savoir si et comment il faut aider l'Afrique, si et comment l'Afrique doit s'insérer dans la mondialisation. La question est de savoir si les Africains le veulent.

Ancien journaliste à Libération, depuis 2000 au Monde, Stephen Smith ne mâche pas ses mots. Si l'Afrique se meurt, dit-il, c'est avant tout par la faute des Africains. C'est toute la thèse de son ouvrage au titre volontairement provocateur qui invoque volontiers les mannes du René Dumont de L'Afrique noire est mal partie.
La négritude a pu être, à l'aube des indépendances, un mouvement bénéfique d'affirmation identitaire de peuples opprimés. Aujourd'hui, la négrologie n'est plus qu'une attitude de repli victimaire des Africains dans le « liquide amniotique de leur authenticité » (p. 230). Au nom d'une soi-disant spécificité identitaire, les Africains justifient tout : le monopole politique de la clique au pouvoir, la « politique du ventre » (Jean-François Bayard) de leurs dirigeants, jusqu'au Sida dont Thabo Mbeki a pu laisser entendre qu'il en existerait des modes spécifiquement africains de transmission !

Au mépris de toute « correction politique », Stephen Smith accuse les Africains de rechercher par tous les moyens à s'exonérer d'un échec collectif dont ils sont seuls responsables. Ils cherchent les racines de leurs maux dans un passé réinventé et idéalisé assimilé à une « longue traumatologie » (p. 83). le renouveau du débat sur la traite esclavagiste – en Haïti comme en Afrique noire d'ailleurs – l'illustre : s'y mêle un désir d'imputer aux Blancs négriers une responsabilité historique (tandis que la responsabilité des Arabes ou des Africains eux-mêmes dans les traites était passée sous silence) avec une recherche malsaine d'une indemnisation financière. Tout le contraire de l'Afrique du Sud où la Commission Vérité et Réconciliation a misé « non pas sur [un] passé de souffrance mais sur un avenir prometteur » (p. 204) pour reconstruire la nation.

Autre facteur explicatif : l'insuffisance de l'aide internationale. Là encore, Stephen Smith n'hésite pas à pourfendre les idées reçues. « On donne toujours … des clopinettes. Dans l'encyclopédie universelle des paradoxes, il faudrait marquer à l'entrée « aide » : « Plus vous en donnez, plus on vous en réclamera. » le donateur doit constamment s'excuser de sa ladrerie. » (p. 101). Il rappelle que depuis les indépendances, l'aide internationale à l'Afrique subsaharienne s'est montée à 300 milliards de dollars qui serait, selon un ancien premier ministre centrafricain, « partie à peu près en fumée » (p. 103).
Qui a approché le monde de la coopération connaît les effets nocifs d'une aide internationale massive et trouve, dans la lecture de l'ouvrage de Stephen Smith, l'écho de ses observations. Que dire de ces missionnaires trop bien rémunérés dont les expertises de faisabilité ou de (post) évaluation représenteraient près du tiers de l'aide publique au développement (p. 108) ? Que dire de ces observateurs électoraux venus cautionner un processus démocratique douteux, en Zambie au Togo ou au Tchad, avant tout soucieux de « rester inscrits sur les listes de la société privée à qui la Commission européenne sous-traite un travail lucratif » (p. 182) ? Que dire enfin de ces rapports de la Banque mondiale ou de la Commission européenne qui s'interrogent doctement sur « les capacités institutionnelles de l'Etat post-colonial » alors qu'il n'y a plus de services postaux qui fonctionnent, que la distribution d'eau et d'électricité a dû être privatisée à un oligopole de compagnies étrangères (p. 24) ?

L'ouvrage de Stephen Smith ne se termine pas sur une conclusion optimiste. Son dernier chapitre, consacré à l'Afrique du Sud, offre à peine un rayon d'espoir. S'il décrit un pays qui a su gérer son passé, qui a su prendre le chemin de la croissance économique sans tendre sa sébille à la communauté internationale, il souligne aussi les lourdes hypothèques que fait peser sur la nation arc-en-ciel le néo-africanisme de Thabo Mbeki.
Stephen Smith, qu'on ne saurait suspecter de ne pas aimer l'Afrique, ne nous dit pas que ce continent est riche de potentialités inexploitées. Il décrit une réalité sombre sans s'en délecter, comme le procès lui en a été fait. Mais au lieu de s'apitoyer, il préfère mettre les Africains face à leur responsabilité et dire avec Jean-Paul Ngoupandé, cet ancien premier ministre centrafricain : "Crevons donc, si tel est notre choix, mais ne nous en prenons qu'à nous-mêmes".
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