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Critique de Apikrus


• Partie V : Le bagne.

L'accent est mis sur l'évolution des conditions de vie des prisonniers. L'arbitraire et les violences restent de mise, mais l'état d'esprit des détenus a évolué. La durée des peines prononcées, et la propension de l'administration à les alourdir sans motifs ont éteint des espoirs de libération. Ceux qui n'ont plus grand-chose à perdre, hormis leur vie d'esclave, sont devenus des candidats à la révolte, individuelle ou collective.

Soljénytsine montre comment des personnes condamnées à tort pour des motifs politiques se sont de fait ensuite engagées politiquement, pour leur liberté et leur dignité, et donc contre un système hostile à ces droits humains :
« Dans les camps spéciaux, nous avons levé haut le drapeau des politiques, nous sommes devenus des politiques » (chapitre 4 de la cinquième partie).

L'auteur explique la manière dont il a écrit ses souvenirs (par bribes apprises par coeur) et l'importance de cet exercice intellectuel sur son moral. L'écriture fut pour lui un moyen d'évasion au sens figuré du terme, que d'autres ont aussi mis en oeuvre.

Certains tentèrent l'évasion physique, mais sortir du camp ou du lieu de travail forcé ne suffisait pas : il fallait ensuite survivre dans un environnement hostile (boire, se nourrir, résister au climat) et échapper à des poursuivants dotés de grands moyens matériels et humains.
Ceux qui parvinrent à fausser compagnie à leurs gardiens durent alors choisir entre :
- s'approcher des lieux où ils pourraient boire ou se nourrir, risquant ainsi d'être repérés, puis capturés, car ces lieux-là sont occupés par de potentiels délateurs ('pékins' craignant d'être condamnés pour complicité on non dénonciation, apeurés par l'image des détenus confectionnée par la propagande, remerciés en nature pour toute capture facilitée…),
- se cacher le plus longtemps possible pour éviter d'être repris, avec les difficultés d'approvisionnement que cela impliquait…

De fait l'évasion réussie était un exploit, et Soljénytsine nous raconte surtout des échecs.
Les chapitres 7 et 8 qu'il y consacre sont passionnants ; il y montre l'ingéniosité de certains détenus, ainsi que l'importance d'aléas pouvant compromettre leurs plans (où à l'inverse occasionner d'heureuses opportunités).
A l'intérieur même des camps, des oppositions ont pu s'organiser : des mouchards et des chefs de travaux choisis parmi les condamnés furent assassinés sans témoin prêt à parler, et il en fut parfois de même de prisonniers de droit commun, si appréciés des autorités pour réprimer les condamnés de l'article 58.
Privées de leurs yeux, de leurs oreilles, et parfois même d'un bras armé, les autorités de camps ont alors perdu une partie de leur pouvoir (d'autant plus que les menaces à des temps de peine supplémentaires ont perdu de leur efficacité).
Une double grève, de la faim et du travail, fut même organisée collectivement par des détenus du bagne ! Alors qu'habituellement le gréviste de la faim était abandonné à son sort, les autorités du camp s'inquiétèrent de leurs objectifs de production et de la façon dont elles-mêmes pourraient se justifier.

• Partie VI : Staline n'est plus.

La mort de Staline, le 5 mars 1953, marqua un tournant pour les prisonniers, même si les changements ne furent pas immédiats.
Lavrenti Béria, chef du NKVD de 1938 à 1945 (Народный комиссариат внутренних дел : Commissariat du Peuple aux affaires intérieures, la police intérieure notamment chargée des affaires politiques), ne fut exécuté qu'en décembre 1953, non pour ses crimes (massacre de Katyń, déportations d'une dizaines de peuples dont les Allemande de la Volga, les Tatars de Crimée, les Tchétchènes) mais simplement pour l'écarter de la succession de Staline (que Béria est suspecté d'avoir éliminé, non seulement parce qu'il fit déporter tous ceux qui avaient participé à l'autopsie de Staline, mais aussi parce qu'il aurait refusé une intervention médicale sur Staline alors inconscient dans des dernières heures).
En 1954, une révolte dans le camp de Kenguir - finalement réprimée dans le sang - dura une quarantaine de jours, la direction du camp s'étant alors demandé comment réagiraient les autorités en cas de répression brutale. Fait exceptionnel : prisonniers politiques et de droit commun surent alors s'unir…

Les réhabilitations de prisonniers politiques qui accompagnèrent la déstalinisation mise en oeuvre sous Nikta Krouchtchev furent nombreuses. Néanmoins, l'auteur estime que Krouchtchev n'a pas achevé la transformation qu'il avait initiée, en ne supprimant pas le Goulag comme outil de gestion des oppositions. La manière dont les réhabilitations furent prononcées est aussi dénoncée : chacun fut convoqué pour faire son mea culpa avant de pouvoir être libéré. C'était donc aux prisonniers eux-mêmes de demander pardon pour les fautes (souvent imaginaires) pour lesquelles ils avaient été condamnés (à tort), non aux autorités ! Ceux qui s'y refusaient étaient encore susceptibles de causer des troubles après leur libération et restaient donc captifs.

Le dernier Chapitre évoque la répression de la révolte de Novotcherkassk le 2 juin 1962, soit plus de 9 ans après la mort de Staline (qui, officiellement, fit une trentaine de morts).

• Postface :

Soljénytsine explique qu'il a écrit son ouvrage en captivité et en relégation, par bribes éparses qu'il ne put rassembler que très tardivement (par peur qu'elles ne fussent découvertes et par crainte de perdre l'ensemble). Ceci explique en partie le caractère décousu de cet ouvrage, avec des thématiques ou des périodes qui reviennent à plusieurs endroits différents.

Le mélange entre l'expérience personnelle de l'auteur, les expériences d'autres victimes dont il se fait le porte-parole, et un essai historico-politique, accroît son originalité. Même si certains passages méritent d'être survolés, ce récit est selon moi essentiel pour appréhender le Goulag et la véritable nature du régime soviétique, les deux étant étroitement liés (et même inséparables selon Soljénytsine).
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