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Critique de Ingannmic


Un texte pareil, ça vous harponne. Ça vous prend par la main -certes un peu brutalement- puis ça vous entraîne inéluctablement, des longues lignes droites évoquant la fatalité d'un déterminisme mortifère aux cahots des chemins de traverse qui donnent la fugace illusion d'y échapper puis aux sorties de route concluant certains dérapages incontrôlés.
Dans une langue d'une précision et d'une férocité percutantes, "Rodéo" brosse le portrait d'une jeunesse désoeuvrée, membres d'un lumpenproletariat évoluant dans un néant semi-agricole et périurbain, attendant qu'on lui trouve une valeur marchande.

Ils n'ont aucune conscience politique ou sociale, des capacités intellectuelles limitées ou inexploitées, mais éprouvent une rage sur laquelle ils ne savent pas mettre de mots, celle d'exister dans ces microcosmes coquets identiques d'un village à l'autre, bleds vides et mornes qu'ils ne songent pourtant pas une seconde à quitter, et dont ils adopteront finalement les codes avec application. Voués à une calvitie précoce couronnant leur silhouette bedonnante. Condamnés à adopter la même déco kitsch et surchargée que leurs parents, à considérer comme une fin en soi l'acquisition par traites mensuelles d'une cuisine équipée ou du dernier cri en matière de gadgets électroniques, à éponger par des crédits les fins de mois problématiques. Ils seront même prêts, le temps venu, à faire des efforts pour rentrer dans le rang : éviter les bagarres, cesser de faire des doigts d'honneur aux filles. Consommer. Fonder une famille, dont les enfants porteront comme eux des prénoms à consonnance anglo-saxonne. Si possible trouver un boulot. Se résigner, sans le conscientiser, à rentrer dans ces existences toutes tracées, sans surprise ni déviation.

Mais en attendant, ils ont le sang brûlant, avide de mouvement, de folie et d'intensité. Sont en quête de parenthèses où la vie bat plus vite, plus fort. Mus par une violence atavique et une idée primitive de la virilité, excités par l'alcool et les amphétamines, ils se grisent de vitesse et de danger au volant de leurs bagnoles bricolées, effraient les jeunes filles qui ont le malheur de croiser leur route, rejouant les règles d'une chasse impitoyable et séculaire, dont l'issue est parfois fatale…

Aïko Solovkine trace les chorégraphies macabres et les rituels cruels dans lesquels cette jeunesse à l'imagination mesquine et brutale oublie son statut de laissés-pour-compte à coups de phrases brèves mais éloquentes, saisissant l'essence d'instants que leur dimension significative rend immuables, et créant un effet de martèlement addictif qu'elle entrecoupe de brèves pauses au cours desquelles le rythme se fait plus ample, la langue moins tranchante. Il se dégage de son texte une énergie qui, associée au réalisme cru et violent de son propos, laisse le lecteur en apnée.

A lire, bien sûr !
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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