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Critique de Rodin_Marcel


Sorel-Sutter Malika – "Décomposition française : comment en est-on arrivé là ?" – Arthème-Fayard, 2015 (ISBN 978-2-818-50527-4)

Un livre de témoignage incontournable pour plusieurs raisons.
La toute première étant que l'auteur de ces lignes rapporte en toute honnêteté et sans langue de bois ce qu'elle a vécu à partir du moment où elle fut bombardée – sans avoir rien demandé – membre du Haut Conseil à l'Intégration (HCI).
La deuxième étant sa qualité de personne issue de l'immigration, à savoir d'une famille algérienne, et ayant opté pour l'intégration, sans rien dissimulé des difficultés inhérentes à ce choix.
La troisième résultant de son absence de pré-jugés politiques puisqu'elle n'avait auparavant jamais milité pour quelque parti que ce soit.
La quatrième résultant des nombreux exemples concrets cités et précisément référencés, incluant les noms des personnes, sans jamais pour autant tomber dans l'invective, l'injure ou ce pseudo-humour de ringardisation tant pratiqué aujourd'hui dans les médias.
Avant d'en terminer avec les bonnes raisons de lire cet ouvrage, il convient d'en souligner tout simplement l'excellente écriture, dans une langue claire et limpide, sans affèteries ni tournures ampoulées.

Un exemple, parmi tant d'autres : sa découverte des politiques se disant "de gauche" (chapitre 4, pp. 63-94) est tout simplement extra-ordinaire pour moi, car – ayant eu un parcours professionnel m'amenant également à découvrir ce milieu de très près sans avoir auparavant exercé d'activité politique – j'ai fait exactement les mêmes constats que l'auteur : pour décrire mon propre vécu, je ne pourrais faire autrement qu'emprunter les mêmes tournures, les mêmes phrases, les mêmes constatations que celles consignées dans ce livre (cf citations).
En dehors de la fréquentation concrète de ces milieux, il suffit de lire régulièrement leur quotidien de référence – "Le Monde" – pour constater la véracité de ces constatations : l'une des principales préoccupations des plumitifs se commettant dans ces colonnes consiste à établir si un(-e) tel(-le) est bien "de gauche", ce qui parfois atteint des sommets d'imbécilité très drôle, mais s'avère le plus souvent consternant.

Ceci étant, c'est tout de même Dominique de Villepin qui ouvre le bal (dès la page 24), par la citation d'une comparaison dont l'auteur nous montre la profonde idiotie, si ce n'est l'imposture délibérée. L'une des clés des comportements du personnel politique (de droite comme de gauche) et plus largement de la situation actuelle nous est donnée d'emblée :
"Notre élite a horreur que l'on aborde les vraies difficultés. Elle s'accroche aux recettes éprouvées par le passé, qui ont fait les politiques publiques pendant plusieurs décennies [...] Cette manière de faire a d'autant plus perduré que le peuple, lui-même, plutôt confiant et clément, et par ailleurs occupé à cultiver son hédonisme, n'avait pas envie d'être dérangé ni que l'on puisse entamer son désir de jouir de l'instant présent." (p.35)

Une autre clé réside – toujours selon l'auteur – dans l'abandon délibéré de toute politique d'assimilation, pour au contraire mettre en oeuvre une communautarisation détruisant le tissu de la société, avec le repère chronologique fourni par les émeutes urbaines survenues en 2005 (pp. 44-48), l'aubaine que constitue le surgissement du Front National orchestré par Mitterrand (pp. 77-82), ainsi que la bien-pensance infligée par les médias (pp. 73-77).

Les réflexions les plus sensibles car les plus personnelles sont celles qui concernent la volonté, le désir de mettre sa culture originelle de côté pour adopter une démarche délibérée d'assimilation : l'auteur évoque à plusieurs reprises et fort pudiquement son propre destin avant d'y consacrer un paragraphe particulier (pp. 197-204). Sans pathos, sans envolées lyriques, elle n'hésite pas à évoquer l'aspect "sentimental", intime voire passionnel que revêt cette démarche, ce qui confère une dimension profondément humaine à son témoignage.

A mes yeux, son raisonnement présente toutefois une faiblesse de taille : lorsqu'elle prône l'assimilation, l'auteur évoque une démarche d'adhésion à une culture – dans le cas présent, la culture française – de haut niveau, de haute qualité, une culture exigeante, dont on trouve la trace la plus probante dans son écriture d'une sobriété et d'une élégance bien proches du Grand Siècle.
Cette culture existe-t-elle encore dans la France d'aujourd'hui, en dehors de quelques cercles intellectuels fort restreints ? Il est permis d'en douter, au vu de l'abyssale médiocrité matraquée inlassablement par les médias, de la démission si ce n'est la capitulation des milieux enseignants devant l'inculture crasse (objet de l'adoration branchée des élites politiques – la démagogie populiste d'un Jack Lang est passée par là), du rejet quasi systématique des racines culturelles de la "vieille Europe", de l'imitation simiesque et servile de la plus grande vulgarité états-unisienne...
Comment demander à des nouveaux arrivants de renoncer à leur propre héritage (même réduit à son strict minimum) en échange d'une si piètre non-culture ?
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