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Citations sur Le champ d'asile (4)

Ce qui restait du 512 avait dévalé la veille vers Genappe avec le sergent Chamoreau et le voltigeur Verbatim. « Passer la Dyle, criait-on, il faut passer la Dyle avant les Prussiens. » Seulement à Genappe, sur les huit heures de cette belle soirée de juin, il n'y avait pas que le 512 : il y avait toute l'armée. L'armée battue, brisée, affolée, qui s'en venait buter comme une bête malade sur le petit ruisseau grossi par les orages de la veille. La Dyle roulait plus d'un cadavre dans ses eaux brunâtres, les herbes de son fond avaient l'air traîtresses : pas de gué possible. Le petit pont de bois laissait passer les hommes par file de deux, sablier qui mesurait notre défaite.

Sur la rive s'amoncelait une cohue désordonnée où survivaient encore, malgré tout, des habitudes de discipline, des velléités de résistance. Dans l'armée qui sombrait les vieux réflexes jouaient encore. L'ennemi arrive, là, derrière ce bois, il va nous canonner une fois de plus, mais on salue toujours un colonel, fût-il en train de décamper dans une calèche pleine de malles et de femmes. Surtout, on colle aux camarades : nous sommes ainsi, nous, les soldats, quand ça va mal; plus disposés à mourir bêtement avec le régiment qu'à survivre isolés loin des sous-offs, des amis, de tout ce qu'on a, quoi !

P11
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Il n'y avait plus de 512. Nous avions pris les Prussiens de plein fouet, ils nous avaient brassés comme un malt, plus soucieux de briser les unités que de fracasser les
crânes. Verbatim et moi, indemnes tous les deux, nous marchions avec quelques camarades, un groupe de vélites, une poignée de dragons démontés. Un colonel de lanciers polonais nous avait rejoints, un grand blond, très jeune, à la voix terrible. Il savait à peine le français mais ses ordres, proférés dans un jargon informe, nous paraissaient si naturels, si — comment dire? - si désirables que nous nous sommes rangés bien volontiers sous son commandement.

Maigre troupe, abattue, disparate, mais armée toujours et très consciente du salut qui gisait quelque part devant nous comme du danger qui rôdait derrière. Même aujourd'hui je revois clairement son visage, à ce jeune colonel. Il nous a sauvé la vie.

Les Prussiens trottaient sur notre flanc. On les entendait, à cent mètres de nous, faire sonner leurs armes, jurer contre quelque haie, quelque fondrière. Ce cliquetis, ces invectives nous accompagnaient dans la nuit. Puis, à chaque demi-lieue à peu près, s'élevait une clameur sauvage soutenue par un roulement de timbales. Alors les Prussiens nous chargeaient, nous sabraient méthodiquement, traversant la route où ils laissaient un lit de cadavres avant d'aller tranquillement se reposer de l'autre côté. Comme à l'exercice.

Notre colonel polonais nous formait en demi-carré. Avec nos quelques baïonnettes, la pique de son ordonnance et le sabre des dragons, nous offrions sur cette chaussée de malheur un semblant de résistance. L'ennemi la dédaignait. Il nous contournait pour aller massacrer sans risque les éclopés qui ne s'étaient pas abrités derrière nous et tant de hurlements sauvages, inhumains, orchestraient ces
charges que les braves en déroute, désemparés, privés d'ordres, se couchaient, couraient en tous sens et gênaient nos pâles tentatives de manœuvres.

Le colonel polonais est mort à la quatrième charge, comme nous venions de passer Frasnes. Je me trouvais proche de lui. Malgré l'obscurité j'ai bien vu le Prussien
qui l'a abattu : la pelisse blanche luisait dans la nuit sur le dolman sombre et j'ai pensé un moment que le double plumet de son colback lui donnait l'air d'un chat-huant. On devinait au loin les premières maisons de Charleroi. La troupe se précipitait, pensant déjà passer la Sambre.

« Viens, Chamoreau, viens donc », me criait Verbatim. Mais j'avais à faire. Il fallait remonter le flot des fuyards, m'ouvrir un chemin à coups de crosse pour atteindre le
colonel. Il portait cinquante napoléons dans sa sabretache : depuis trois lieues je les entendais sonner. Il en avait moins besoin que moi : il lui manquait la moitié du
crâne. « Au sabre, le cavalier doit toujours viser l'oreille gauche de l'adversaire », comme dit le règlement.

p14-15
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L'été s'annonçait superbe. On apercevait de la ville haute les champs d'alentour où des femmes — pas d'hommes, pardi, ils étaient devenus cuirassiers -, où des
femmes, donc, piquaient des bœufs. Nous serions volontiers restés pour les aider, mais nos trois jours à Laon ne furent qu'une parenthèse. Nous étions en déroute : les Autrichiens et les Russes déferlaient sur la Lorraine.

Nous sommes donc repartis. On avait refondu le 512 avec des conscrits, des Marie-Louise qui ne pensaient qu'à crier « Vive l'Empereur! » Villers-Cotterêts, Aubervilliers,
Rocquencourt : petits combats miteux où quelques uhlans chargent quelques voltigeurs. On se demandait pourquoi on se battait encore. Lallemand restait introuvable; quant aux autres généraux, selon Verbatim, ils supputaient leurs
chances de passer à l'ennemi sans trop d'embarras et se mordaient les doigts de n'y avoir pas songé plus tôt.

P20.
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Ludivine travaillait dans les bals. Évitant celui des
Batignolles, son village, elle fréquentait surtout celui de
la barrière de Clichy ou même, quand les soirées s'an-
nonçaient tièdes, ceux de Saint-Ouen. Je la surveillais à
l'écart, seul parfois, parfois entouré d'une demi-douzaine
de mauvais garçons. Ils m'avaient accepté, m'ayant vu
corriger un gandin de Chaillot que je soupçonnais de
vouloir annexer Ludivine. Sans vraiment les aimer, j'avais
adopté leur langage, leurs vêtements, leurs ruses.

Ma femme entraînait ses pratiques derrière des haies, en
descendant vers Levallois. Quelquefois, prévenu par cer-
tains signes, je quittais la table, les hommes et leur linvé
pour aller, comme je disais, poser des collets dans les
garennes. J'y surprenais Ludivine avec quelque maraîcher
qu'elle avait estimé riche. J'arrivais sur eux comme un
renard puis, la lanterne soudain brandie, je les dévisageais
longuement. Les louis venaient tout de suite : un regard
de Chamoreau suffisait. Je porte assez d'horreurs en moi
pour me faire obéir. Le miché détalait, Ludivine comptait
l'argent et je méditais sur le désir et sur la peur. Puis,
comme nous disions alors, je rentrais sorguer avec ma gerce.

Il ne fallait sortir le couteau que rarement et cela n'a
tourné mal que deux fois : nous avons dû porter les corps
jusqu'à l'embarcadère de Clichy, par les jardins.

Le jour, je m'occupais de mes bêtes pendant que Ludi-
vine dormait ou rendait visite au notaire qui plaçait son
argent. Avec mes derniers napoléons j'avais acheté cinq
chèvres, quatre blanches, la dernière plutôt jaune. Je les
enfermais le soir dans une cahute de planches au bout du
jardin de la Plichon. Au matin j'allais y retrouver les
senteurs et les gestes de mon enfance. Je les promenais
un peu dans les terrains vagues puis, vers midi, nous
descendions tous les six vers Paris.

P26
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