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Critique de amardouboune


Nicolas de Staël n'a pas 23 ans quand débute son séjour au Maroc entre juin 1936 et octobre 1937. Après quelques jours à Rabat et Fès, il sillonne en compagnie d'un ami la « montagne » : Azrou, Khénifra, Beni-Mellal pour arriver à Marrakech fin octobre 1936 où il reste jusqu'en mars 1937. Séjour à Essaouira (Mogador) et des virées dans le haut Atlas sis à côté de Marrakech (Ourika, Asni, Telouet). Ainsi il peut écrire : « Les Berbères font l'amour nus dans les étoiles, en plein hiver, ou dans le meuglement doux des bêtes aux pâturages. » (page 52), waouh !
« Les Gueux de l'Atlas » présenté ici dans leur intégralité, n'est pas à mes yeux un grand texte, par contre « Cahier du Maroc » offrent des moments de pure littérature même si dans une lettre à son « père » l'auteur précise, « La plupart du temps la littérature consiste à dire en beaucoup de mots peu de choses et oublier les choses essentielles dont on a l'intention de parler. » (page 103) ; « Cahier du Maroc » touche l'essentiel de façon troublante et c'est cela qui rend ces textes brefs, quasiment des notes, magnifiques, et pourtant … : « Elles revenaient royales aux vêtements de couleurs portant sur la tête simplement un grand amas de branches d'or dans le couchant. Dans le fond, des bêtes calmes dans les lumières que le soleil jette vives en mourant. » (page 151) ; ici « Elles » sont des femmes, de jeunes filles, corps à l'équerre rapportant sur leur dos, lanière au front, une masse conséquente de bois pour cuisiner, se chauffer ; « royales » ou exténuées ? J'ai rencontré ces « Elles » de nombreuses fois dans l'Atlas, ai « déconné » avec « Elles », souriantes aux vêtements de couleurs élimées rapiécés sous un ciel laiteux.
Mon premier séjour au Maroc, alors que j'étais guère plus âgé que Nicolas de Staël, dura plus longtemps, les écrits qui en restent (je remercie ici mon Père d'avoir conservé la correspondance de ses enfants) déplorables zappèrent l'essentiel que je n'appréhenderai qu'après de longues années, quand la pensée s'affermit, que les yeux se dessillent, que des portes s'ouvrent, que la maîtrise de l'arabe augmente, que le cerveau s'est nourri d'ailleurs, que nos attentes se suspendent ; Nicolas de Staël retourna-t-il au Maroc pour confronter les « notes » de son premier voyage à sa nouvelle réalité ?
Que de textes, de films sur les couleurs du Maroc, Nicolas de Staël n'échappe pas à ce stéréotype et à d'autres « Le Maroc est tellement beau qu'il faudrait y faire une académie de peinture, les couleurs étant d'une vivacité et d'un calme en même temps comme nulle part ailleurs et, quant au dessin, l'antique traîne les rues. » (pages 121/122, dans une lettre à Madame Goldie écrite à Mogador en 1937) ; la vivacité des couleurs marocaines n'est observable qu'après qu'une pluie ait lavé le ciel gorgé de poussières, le reste du temps, l'intérieur du pays où séjourna, semble-t-il, essentiellement Nicolas de Staël, n'affiche que des couleurs pâles, délavées que la rétine interprète tant nos impressions sont formatées.
Enfin il y a cette phrase énigmatique, « Maman, écrivez-moi une lettre pour mes archives à moi » (page 102, post-scriptum d'une lettre à sa « mère » écrite le 07 février 1937) ; une grande partie de notre mémoire est déposée ailleurs qu'en nous, dans nos correspondances écrites du temps d'avant l'ère du Monde réduit à un rectangle lumineux de diagonale six pouces ; ce qui importe pour nos « archives » étant ce que nous avons écrit et non ce que nous avons reçu, on n'écrit pas pour une réponse. Étonnant, à 23 ans, de s'inquiéter, pour ses archives, mais peut être que déjà le 16 mars 1955 clignotait quelque part en lui.
Les fac-similés des oeuvres de l'« antique qui traîne les rues », de « Cahier du Maroc » témoins d'une acuité rare, sont malheureusement trop petits . Ceci étant écrit ce recueil de textes inédits reste précieux. J'attends l'exhumation des photographies prises lors de ce séjour marocain, photographies évoquées dans une correspondance.
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