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Critique de topocl


C'est un curieux bouquin que nous a fabriqué là Benjamin Stein.
Deux narrateurs, tous deux juifs observants, racontent une seule histoire tournant autour de l'identité, de la mémoire, de la construction de la personnalité avec comme fils sous-jacent le double, le mensonge, l'usurpation. Les histoires se complètent, communiquent entre elles tout en différant, se « corrigent » et se modulent l'une l'autre. Leur point de rencontre est l'histoire d'un troisième homme, Minsky, qui a raconté dans un livre son enfance d'enfant dans les camps,occultée sous la contrainte familiale pendant des années, et dont l'authenticité fut ensuite dénoncée . le psychanalyste Amnon Zichroni a porté Minsky dans son accouchement littéraire , Jan Weschler l'auteur a dénoncé la supercherie. Leur point de rencontre sera explosif.

Mais tout estencore beaucoup plus complexe, les identités sont brouillées, les protagonistes ont des reviviscence du passé (le leur ou celui des autres) qui remettent en cause les biographies officielles. La religion juive apporte une tonalité particulière avec le jeu du double nom, le rôle des bains rituels qui permettent comme une renaissance, la Cabale et son ésotérisme... La littérature est un autre des thèmes, où il est si difficile de démêler réalité et fiction , auteur et personnage… Jusqu'aux violons, qui vont connaître une deuxième vie.

C'est donc une intrigue très fouillée, complexe, où l'on se perd parfois, où les intentions ludiques et philosophiques sont étroitement mêlées. Et comme si cela ne suffisait pas, Benjamin Stein invente ce stratagème littéraire : les deux récits, chacun porteur d'une vérité, ne sont pas banalement accolés ou entremêlés l'un à l'autre par chapitres alternés. Ils sont installés tête-bêche dans le volume, on les lit chacun dans le sens normal de la lecture en retournant le livre (héhé, ce n'est pas un livre en hébreu qu'on lirait à l'envers!).Avec chacun son titre, sa couverture (qu'on croit naïvement identique alors que les deux hommes ne sont pas dans le même sens si on regarde bien ), son exergue, ses 11 chapitres qui finissent chaque fois sur un glossaire, des remerciements et les mentions légales. On est libre de commencer par l'un, ou par l'autre et on se dit donc, amusé, qu'il y a deux façons de lire le livre.

J'ai commencé par l'histoire du psychanalyste, et après le huitième chapitre, j'ai eu envie de commencer celle de l'éditeur. Puis je suis revenue lire les chapitres 9 et 10 du psychanalyste, enchaînant sur le chapitre 11 de l'éditeur, puis le chapitre 11 du psychanalyste. Ainsi, j'ai construit mon histoire moi-même, j'ai été piégée par l'auteur qui m'a montré la complexité là où je ne voyais qu'une jolie astuce. Ainsi Benjamin Stein fait une proposition, dont chaque lecteur a sa propre lecture, son propre livre, son propre cheminement, dans une illustration bluffante d'efficacité d'une question dont la réponse devient peu à peu claire :

«  Ou je suis un menteur ou je suis fou à lier. Y a-t-il une autre explication? »

Au total ce n'est absolument pas un gadget commercial, mais bien une oeuvre littéraire d'un langage innovant. C'est comme une oeuvre d'Art Contemporain, habilement construite et pensée, avec tout ce qu'il faut de matière et d'ouvertures pour que chaque lecteur en fasse son livre propre : tout comme il se réapproprie sans doute rétrospectivement sa propre vie en se la remémorant, en se la réappropriant, en y réorganisant son propre cheminement. On en sort déstabilisé, amusé, impressionné.Si le procédé capte un peu excessivement l'attention par rapport au fond, Canevas porte cependant brillamment son message, s'appuie sur une érudition exemplaire, sans cependant négliger l'élément narratif.
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